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Les comportements d’épargne et de financement en France

Laurent Quignon
Laurent Quignon
Responsable Économie Bancaire au sein de BNP Paribas

Comment les ménages français épargnent et investissent-ils ? Observe-t-on des différences significatives de comportement selon les régions ou les milieux socio-professionnels ? Comment les banques aident-elles les particuliers et les entreprises dans leurs projets d’investissement ? Laurent Quignon, responsable de l'équipe Economie Bancaire de BNP Paribas, partage son analyse.

Comment les ménages français épargnent et investissent-ils ?

L’épargne des ménages est la fraction non consommée (donc épargnée) du revenu. C’est donc un flux qui est conventionnellement scindé en deux composantes, l’épargne réelle et l’épargne financière (ou « capacité de financement »). Rapportée au revenu disponible brut (RDB), la première composante fournit le taux d’épargne réelle (9,5% en 2018); la seconde, le taux d’épargne financière (4,5%). La somme des taux d’épargne réelle et financière donne le taux d’épargne global (14%). 

L’épargne réelle se résume pour l’essentiel à l’investissement en logement neuf. Elle évolue depuis le début des années 1990 entre 9% et 9,5% du RDB des ménages, à l’exception de la période 2003-2008 où elle a atteint une proportion légèrement plus élevée (près de 11% en 2008). L’épargne financière est quant à elle exprimée en termes nets : c’est la somme des flux de placements diminuée des flux de crédit. Ainsi, des hausses (baisses) identiques des flux de placements bruts et des flux de crédit n’affectent pas le taux d’épargne financière. Une hausse (baisse) du taux d’épargne global peut tout aussi bien avoir pour origine une baisse (augmentation) des flux de crédit qu’une hausse (diminution) des flux de placements ou d’investissement. Ainsi, une hausse des flux de crédit à la consommation (qui n’entraîne à priori pas de hausse concomitante des flux de placements ou d’investissement) pèse sur le taux d’épargne.

Les Français battent-ils vraiment des records d’épargne ?

La France (14% en 2018) est, après l’Allemagne (17,9%) et les Pays-Bas (15,1%), le grand pays de la zone euro dans lequel le taux d’épargne des ménages est le plus élevé (la moyenne s’élevant à 12% dans l’ensemble de la zone euro). Depuis 2012, de nouvelles tendances se dessinent. Le taux d’épargne des ménages se tasse légèrement en France et, à partir d’un niveau beaucoup plus bas, en Espagne (4,8%) tandis qu’il augmente encore en Allemagne. En dehors de la zone euro, le taux d’épargne tend à reculer au Royaume-Uni (4,2%).

Le stock des actifs financiers détenu par les ménages est, pour sa part, égal à leurs flux bruts (i.e. non diminués des flux de crédits) d’épargne financière cumulés depuis l’origine, auxquels s’ajoutent les effets de valorisation (gains ou pertes en capital). Le ratio de l’encours des actifs financiers bruts des ménages à leur RDB est, en France (366% à la fin de 2018), légèrement supérieur aux ratios observés en Italie (353%) et dans l’ensemble de zone euro (336%). Il est supérieur à celui de l’Espagne (297%) et même de l’Allemagne où la hausse du taux d’épargne globale s’explique par une hausse de l’épargne réelle depuis 2016, laquelle ne s’est pas accompagnée d’une hausse du taux d’endettement des ménages. Le ratio de l’encours des actifs financiers bruts des ménages à leur RDB est en revanche inférieur aux ratios observés en Belgique (526%) et surtout aux Pays-Bas (659%) où les ménages sont, en proportion de leur RDB, sensiblement plus endettés qu’en France (tout particulièrement aux Pays-Bas).  

Photo : Laurent Quignon

Observe-t-on des différences significatives de comportement selon les régions ou les milieux socio-professionnels ?

Le taux d’épargne est d’autant plus élevé que les revenus et les niveaux de qualification sont élevés. Conformément à la théorie économique du cycle de vie, les ménages d’âge intermédiaire (entre 30 et 59 ans) épargnent davantage que les plus jeunes et que leurs aînés. 

Les analyses empiriques suggèrent que le lieu de résidence a une incidence moins grande, une fois que les caractéristiques précitées sont contrôlées. Cela veut dire qu’à revenu comparable, le lieu de résidence exerce une influence négligeable sur le taux d’épargne mais ne signifie pas que le taux d’épargne ne varie pas d’une région à l’autre, en fonction notamment du revenu par ménage. Même si l’INSEE ne publie pas de comptes régionaux détaillés, il ne fait guère de doute que le taux d’épargne est en moyenne plus élevé en Ile de France, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Provence-Alpes-Côte d’Azur qu’en Occitanie dans les Hauts de France ou en Corse. 

Conformément à la théorie économique du cycle de vie, les ménages d’âge intermédiaire épargnent davantage que les plus jeunes et que leurs ainés. 

Toutefois, les écarts de taux d’épargne entre l’Ile de France et les autres régions ne sont probablement pas aussi marqués que le suggèrent les écarts de revenus car l’Ile de France compte dans le même temps une proportion plus élevée de ménages plus jeunes que la moyenne française et locataires, des caractéristiques qui affectent plutôt négativement le taux d’épargne.

Quels sont les produits d’épargne préférés des Français ? Certains sont-ils boudés ?

Les encours des principaux placements financiers des ménages s’élevaient à un peu plus de 5000 milliards d’euros à la fin de 2018, dont 65% sous forme de produit de taux. Sur l’ensemble de l’année, la part de ces derniers dans les flux bruts de placements était encore plus élevée (87,4 Md€ sur 113,7 Md€, soit 77%), ce qui traduit autant l’appétit actuel des épargnants pour les produits sans risque que leur désintérêt pour les actions. Les dépôts à vue et le numéraire ont drainé plus de la moitié des flux vers les produits de taux. Ceux-ci ont par ailleurs bénéficié du très fort rebond de l’assurance vie en euros dont la collecte nette a triplé depuis 2017. En revanche, les acquisitions nettes de produits de fonds propres se sont contractées pour la deuxième année consécutive (17 Md€ contre 30,5 Md€ en 2017). Le retour modéré des ménages vers les actions cotées détenues en direct a certes compensé la baisse des flux vers l’assurance-vie en support UC mais dans le même temps les organismes de placement collectif (OPC) actions ont enregistré une décollecte massive (-18,1 Md€). Les flux vers l’assurance-vie en unités de compte (15% des flux bruts de placements) ont concentré l’intégralité des flux nets vers les produits de fonds propres tandis que les cessions d’actions détenues sous forme d’OPC (-20,8%) étaient compensées par l’engouement en faveur des actions non cotées et les autres participations (+20,1%), qui reflète notamment le succès actuel du private equity.

Au regard de la même période de 2018, les évolutions observées entre janvier et mars 2019 traduisent une hausse sensible des flux en faveur des dépôts à vue, de l’épargne réglementée (Livret A, bleus, LDD, LEP, PEL, PEP, CEL, livrets jeunes) et de l’assurance-vie en support euros et, au contraire, une contraction des flux vers l’assurance-vie en unités de comptes. Au cours du premier trimestre 2019, le Livret A et le livret de développement durable et solidaire ont collecté 9,7 Md€. Ces produits offrent certes un rendement réel négatif (leur rémunération s’élève à 0,75% pour une inflation de 1,3% sur un an en avril) mais la pente des taux est quasiment plate et les primes de risque relativement écrasées. Elles ne deviennent consistantes que pour des placements que la plupart des ménages jugent trop risqués et ne suffisent pas à  détourner les épargnants des produits liquides, sans risque et non fiscalisés.

Crédit photo :  ©Tiberius Gracchus

Et de leur côté, les entreprises sont-elles de bonnes épargnantes ?

Les entreprises épargnent bien sûr mais leur épargne financière est traditionnellement négative, ce qui signifie qu’elles présentent, à la différence des ménages, un besoin de financement. A quelques écarts comptables près (les dotations aux amortissements et aux provisions, notamment), le concept d’épargne brute des sociétés non financières en comptabilité nationale correspond, en comptabilité privée au résultat mis en réserves. Le taux d’épargne se calcule quant à lui comme le ratio de l’épargne brute à la valeur ajoutée. Les entreprises françaises connaissent aujourd’hui un taux d’épargne qui n’a jamais été aussi élevé depuis 1999 (22,3% au quatrième trimestre 2018). 

Les entreprises françaises connaissent aujourd’hui un taux d’épargne qui n’a jamais été aussi élevé depuis 1999 

D’un point de vue macroéconomique, cette épargne brute couvre depuis 2013 entre 90% et 100% de l’investissement des entreprises, ce qui est historiquement élevé et a entraîné concomitamment une diminution de leur besoin de financement.  

Que financent leurs investissements ?

En 2019, la destination des investissements devrait demeurer proche de celle de 2018. En particulier, la part des investissements destinés au renouvellement des équipements serait stable, légèrement au-dessus de sa moyenne de longue période. Celle des investissements destinés à la modernisation et à la rationalisation fléchirait un peu au-dessous de sa moyenne. La part des investissements destinés à étendre la capacité de production serait stable, à son niveau moyen.

Le fait que les entreprises couvrent leurs investissements réels avec les mises en réserve ne signifie pas qu’elles ne recourent pas à l’endettement. Les grandes entreprises profitent ainsi de conditions de financement exceptionnellement favorables sur le marché obligataire pour accumuler des disponibilités qui seront mobilisées ultérieurement pour couvrir les investissements. La hausse de l’endettement vise également à financer des acquisitions à l’étranger. 

Comment les banques aident-elles les particuliers et les entreprises dans leurs projets d’investissement ? 

L’une des fonctions essentielles des banques est de résoudre l’inadéquation entre les préférences des épargnants (court terme, liquidité, faible risque) et les besoins des entreprises (long terme, financements plus risqués). En France, entre 2300 et 2500 Md€ d’encours d’épargne liquide et à court terme sont ainsi transformés en financements à long terme au sein des bilans bancaires (prêts à l’habitat, crédits d’investissement, obligations). 

Ce rôle n’est malheureusement pas susceptible d’être joué par les marchés financiers sur lesquels le succès d’une émission requiert l’existence préalable d’une base suffisamment large d’investisseurs dont les préférences coïncident précisément avec les caractéristiques de l’instrument émis. Les banques n’effectuent en revanche quasiment pas de transformation vers les capitaux propres. Tout d’abord, l’absorption des premières pertes par les actionnaires de l’entreprise permet d’aligner, dans une certaine mesure, leur intérêt avec celui des créanciers et limite l’aléa moral. Ensuite, les exigences prudentielles rendent la détention d’actions d’entreprises par les banques extrêmement coûteuse en termes de capitaux propres bancaires. En revanche, les banques collectent de l’épargne longue qu’elles gèrent au sein de fonds dédiés (OPC actions, supports en unités de compte des contrats d’assurance-vie et fonds de private equity) et jouent un rôle essentiel dans l’intermédiation de l’épargne vers les fonds propres d’entreprises. 

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Crédit photo :  ©manjik

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