L’immobilier n’est pas un secteur ordinaire car il est étroitement lié à la question du logement et l’organisation de l’espace urbain. Aussi, dès le XIXe siècle, caractérisé par une forte croissance urbaine, il devient impératif pour l’Etat d’organiser le marché du crédit immobilier et d’encadrer les acteurs privés qui y participent.
Le financement du logement du XIXe siècle à la fin des années 1940 : de l’intervention directe de l’Etat à l’aide indirecte au secteur
Le XIXe siècle est marqué par une forte croissance urbaine et une activité industrielle soutenue, occasionnant des besoins en logements grandissants. Il faut loger les nouveaux arrivants d’origine rurale, intégrer de nouveaux quartiers et réorganiser l’espace.
En réponse à cette pression démographique, le logement, la construction et les travaux publics connaissent une forte croissance entre 1840 et 1880. Si dès les années 1830, les principales banques familiales (Laffitte, André et Cottier), et le Crédit Mobilier investissent successivement dans la construction d’immeubles et de maisons, elles sont par la suite concurrencées par l’arrivée sur le marché des grandes banques de dépôts telles la Société générale et le Crédit lyonnais et les banques d’affaires telles que la Banque de Paris et des Pays-Bas.
Mais après la guerre de 1870, l’indice du bâtiment est inférieur de 40% à celui des années 1860. Ce recul entraîne une crise dans l’industrie du bâtiment au moment où l’exode rural est au plus fort ; et dès 1880 les banques cessent d’investir le secteur.
Ainsi, l’augmentation de la population et l’apparition de nouveaux besoins imposent à l’Etat de jouer un rôle croissant dans le financement de l’immobilier. Il favorise la création de nouvelles institutions qu’il parraine puis contrôle étroitement. La création du Crédit foncier de France en 1852, aspiration portée par des propriétaires et des agriculteurs, marque la volonté de l’Etat de soutenir la construction et les crédits immobiliers.
Fondé par décret, le Crédit Foncier a pour mission de prêter à long terme et d’émettre pour se financer des titres obligataires gagés sur hypothèque. Il bénéficie du monopole des prêts hypothécaires. En quelques années, le rôle de l’Etat se renforce. Il s’impose dans le financement du marché immobilier en investissements massivement dans les équipements publics et en mettant sous contrôle direct ou indirect les institutions accordant des crédits. Ce dispositif est complété en 1894 par la loi Siegfried créant les « Habitations à bon marché » par des caisses d’épargne et favorisant l’initiative privée par des avantages financiers. Le financement public de la construction connaît un essor significatif entre 1912 et 1933, avec la mise sur pied de lois (loi Ribot 1922 et loi Sarrault et Loucheur 1928) favorisant la création d’offices publics, départementaux, d’Habitation à loyer modéré (HLM).
L’Etat généralise aussi les conditions de financement à taux réduit (2%) des emprunts contractés auprès des Caisses d’épargne. Mais dès les années 1930, il doit réviser ses budgets à la baisse en raison du contexte économique difficile de 1933-1938. En réponse à cela, l’Etat initie dès 1937 une série de mesure d’aides indirectes au logement telles que des bonifications d’intérêts accordées à tous ceux qui entreprennent des travaux de construction ou de remise en état sur capitaux propres ou empruntés. Ainsi naît le secteur aidé du logement et se profile peu à peu le rôle indirect qu’entend jouer l’Etat dans l’organisation du crédit immobilier.
Le marché du crédit immobilier s’ouvre à de nouveaux acteurs privés (1950-1959)
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle organisation du crédit immobilier se dessine. Si jusqu’ici, les groupes financiers ne s’intéressaient plus à l’immobilier peu rentable et dominé par la puissance du financement public, ils investissent progressivement le secteur.
La nouvelle organisation du financement du logement ouvre des perspectives pour les acteurs privés. Les crédits aux promoteurs pour l’acquisition des terrains, les prêts complémentaires aux candidats à l’accession bénéficiaires sont autant de créneaux laissés libres. C’est dans ce contexte que l’Union de crédit pour le bâtiment (UCB), voit le jour en 1951 sous l’impulsion de Jacques de Fouchier. Elle traduit la volonté commune des professionnels du bâtiment et de plusieurs banques, dont le Crédit foncier de France, de développer le financement du logement et d'introduire des techniques financières nouvelles.
Filiale spécialisée de la future Compagnie bancaire (1959), l’UCB représente 50% des marchés du crédit immobilier au début des années 1960. Faisant preuve d’un sens aigu de l’innovation à l’origine de sa création, l’UCB propose des prêts principaux pour la construction de logements non aidés.
Bien que le marché des crédits-acquéreurs soit monopolisé par le Crédit foncier de France, de nouvelles formules de crédit sont conçues telles que le crédit différé, ancêtre des actuels Plan d’épargne logement. Cette solution lancée en 1953 par la Compagnie française d’épargne et de crédit (future compagnie bancaire) offre la possibilité d’être jumelée avec un prêt d’anticipation (accordé sur sept ans) et permet au candidat d’obtenir instantanément un prêt d’une durée de deux fois supérieure à celle des crédits bancaires à moyen terme.
Ces premières réalisations des groupes financiers spécialisés dans les crédits seront confortés par le désengagement progressif de l’Etat amorcé à partir de 1958.
La bancarisation du crédit au logement
En 1963, l’Etat met en œuvre un plan destiné à normaliser les conditions de financement du logement en France.
Il s’articule notamment autour d’une mesure importante : la réforme des prêts spéciaux (plafonnement de leur montant, augmentation de leur taux, éligibilité de leur octroi sur critères sociaux) qui élargit le champ d’action des groupes financiers. Le point d’orgue de la réforme est atteint en 1966 avec la création du marché hypothécaire. Celui-ci doit permettre aux établissements de crédit de refinancer leurs prêts au logement assortis d’une hypothèque.
Il met en relation des établissements souhaitant se refinancer, apporteurs de créances hypothécaires correspondant aux prêts accordés, avec des institutions bancaires ou collectrices d’épargne apporteuses de capitaux.
Les organismes de crédits spécialisés ne sont pas les seuls bénéficiaires de cette évolution, qui permettra aussi aux grandes banques nationalisées d’orienter massivement les dépôts vers le crédit au logement. De sorte que dès le début des années 1970, les banques représentent la moitié du marché des prêts hypothécaires. Ce transfert du financement du logement vers les banques s’amplifie avec l’instauration de deux nouvelles formules de crédit : le compte épargne – logement (CEL) en 1965 et le plan épargne - logement (PEL) en 1969. Le CEL est une technique applicable à tous les réseaux, associant une phase d’épargne préalable d’au moins - huit mois, et qui ensuite ouvre droit à des prêts avantageux pour l’achat d’une résidence. Quant au PEL, il allonge la période d’épargne à quatre ans et augmente significativement les possibilités de prêt par rapport au CEL.
En 1972, la mise au point de la formule des prêts immobiliers conventionnés (PIC), distribuables par les banques dans le cadre d’une convention passée avec l’Etat, confirme le rôle croissant des banques dans le financement du logement.
La redéfinition des règles de fonctionnement du marché immobilier se poursuit avec la réforme du logement instaurée en 1977. Trois objectifs la sous-tendent : renforcer la justice sociale, simplifier le système des aides de l’Etat et favoriser l’amélioration de l’habitat. L’idée est alors de réorienter une partie des aides publiques « de la pierre vers la personne », sous forme d’une aide personnalisée au logement (APL). S’ajoute aussi au dispositif, une solution unique « le prêt d’accession à la propriété », qui remplace toutes les formules antérieures de prêts bonifiés. Il sera uniquement distribué par des établissements sélectionnés par l’Etat (Crédit agricole), puis banalisé en 1982.
Ainsi, au début des années 1980, le logement occupe une part importante des financements des banques. Et l’offre de financement du logement repose majoritairement sur les prêts aidés et les prêts épargne-logement.