Le Président Trump a affirmé que l’économie décollerait si la Fed décidait d’abaisser les taux directeurs
D’après les minutes de la réunion du FOMC, les membres du Comité ont confiance dans les perspectives économiques, et celles d’inflation les autorisent à faire preuve de patience compte tenu des nombreuses incertitudes au niveau mondial
Dans son dernier rapport sur la stabilité financière dans le monde, le FMI s’inquiète du niveau élevé d’endettement qui pèse sur la capacité des entreprises à faire face à un fort ralentissement de la croissance ou une hausse des coûts de financement
La Fed devra donc combiner patience et prudence
Comme le montrent les analyses et commentaires récents sur les États-Unis, c’est la perspective dans laquelle l’on se place qui dicte le sens des messages, d’où la divergence, sinon la contradiction entre ces derniers. Le Président Trump a souligné, la semaine dernière, que l’économie connaîtrait une ascension fulgurante si la Fed décidait à abaisser les taux directeurs, ajoutant que la banque centrale avait contribué à freiner l’activité économique. 2020 étant une année électorale aux États-Unis, il n’est pas étonnant que les hommes politiques scrutent l’état de l’économie. Chacun se souvient à cet égard de la célèbre formule de Bill Clinton : « c’est l’économie, idiot ! » dans sa campagne pour l’élection présidentielle de 1992, qu’il remporta contre le président sortant George Bush sr.
La Réserve fédérale n’a d’autre perspective que d’atteindre ses objectifs de politique monétaire. Les minutes de la réunion du mois de mars montrent que les membres du FOMC sont plutôt sereins pour ce qui est des perspectives économiques : leurs projections font état d’une bonne tenue persistante de la croissance (légèrement supérieure au potentiel), d’un faible taux de chômage et d’une inflation toujours maîtrisée. Par rapport au mois de décembre, leur incertitude quant aux perspectives n’a guère changé même si le risque d’un rebond du taux de chômage et d’un repli de l’inflation a augmenté quoique très légèrement (voir Ecoweek). Les minutes font également ressortir la confiance des équipes d’économistes de la Fed à l’égard des perspectives. D’après eux, le ralentissement du premier trimestre serait transitoire et la croissance devrait rebondir au deuxième. De plus, l’incertitude de leurs projections serait en ligne avec la moyenne historique et ils estiment les risques pesant sur les perspectives relativement équilibrés. La banque centrale affiche ainsi une patience confiante : si les perspectives de croissance ne lui inspirent pas d’ inquiétude, elle se donne le temps d’attendre avant d’envisager une nouvelle décision sur les taux directeurs. Pourquoi se hâter alors que l’inflation se maintient obstinément à un niveau proche de l’objectif et que les vents contraires venant du reste du monde n’ont pas disparu ?
« Quelques membres ont fait observer que la trajectoire appropriée de la politique monétaire, dans la mesure où cela implique une baisse des taux d’intérêt pendant une période prolongée, pourrait conduire à un accroissement des risques pour la stabilité financière. Cependant, certains d’entre eux ont souligné que l’on pouvait faire face à de tels risques pour la stabilité financière par une utilisation appropriée des outils contracycliques et macroprudentiels ou autres instruments de contrôle ou de régulation » indique le compte-rendu. En outre, certains membres remarquent « qu’une éventuelle détérioration de l’économie américaine pourrait être amplifiée par une forte hausse du service de la dette des entreprises ». On fera aisément le lien avec le dernier rapport du FMI sur la stabilité financière dans le monde.
Dans ce rapport intitulé Facteurs de vulnérabilité dans un cycle du
crédit qui parvient à maturité, les auteurs soulignent que le cycle du
crédit des entreprises américaines semble avoir atteint son plus haut
niveau de l’histoire récente (tout en restant inférieur à celui d’autres
pays) ; les émetteurs moins bien notés occupent une place
grandissante parmi les emprunteurs du secteur des entreprises et
l’endettement a atteint des plus hauts cycliques dans la plupart des
catégories de notation. Une telle évolution est assez logiquement le
résultat d’une longue période de politique monétaire accommodante
et d’une expansion de l’activité mondiale. Cependant, si ces facteurs
de soutien cycliques se transforment en vents contraires, les
conséquences d’une résilience réduite ne tarderont pas à apparaître :
une sensibilité accrue à la baisse des bénéfices ou à une hausse des
taux d’intérêt, suite à l’accroissement du spread de la dette des
entreprises par rapport aux Treasuries en cas d’augmentation des
risques de récession. L’ampleur du retournement de la conjoncture
est dès lors déterminante : « Même si les bilans des entreprises
paraissent suffisamment solides pour endurer un ralentissement
économique modéré ou un resserrement progressif des conditions
financières…un ralentissement prononcé de la croissance bénéficiaire
ou un resserrement brutal des conditions financières pourrait se
traduire par une dégradation notable de la qualité du crédit des
entreprises ». Il y a lieu d’être attentif au risque d’effets de contagion
qui partiraient des émetteurs les moins bien cotés car ils subiront
davantage la détérioration macroéconomique. Cela pourrait finir par
affecter les sociétés mieux cotées en raison de leurs activités avec
des entreprises fragilisées et de la détérioration de leur propre
capacité à se financer auprès de banques et d’investisseurs en
général plus prudents. Compte tenu des effets différés de la détente
monétaire pour faire face à une telle évolution, la Fed doit relever un
double défi : éviter un resserrement excessif de la politique monétaire
quand l’environnement est toujours satisfaisant et s’assurer de
pouvoir l’assouplir assez rapidement quand il se détériore. Car au-delà de la patience confiante, la politique monétaire sera aussi affaire
de prudence patiente.