- La croissance américaine reste forte. Des vents contraires, le fléchissement de données d'enquête et le resserrement des
conditions financières placent néanmoins la Réserve fédérale en situation de gestion des risques
- Sa politique reste dépendante
des données, mais la Fed devra faire preuve de patience avant de décider du prochain mouvement de taux
- Une inflation qui reste bien maîtrisée facilite cette attitude attentiste
- Les marchés tablent désormais sur un assouplissement de la politique de la
Fed en 2020. Cela illustre à quel point l'incertitude pèse sur la confiance.
«L’incertitude n’est pas l’ami des milieux d’affaires». Cette phrase de Jerome Powell, prononcée lors la conférence de presse qui a suivi la dernière réunion du FOMC, résume parfaitement ce qui est au cœur du ralentissement mondial initié en 2018 et qui atteint désormais les États-Unis.
L'incertitude a de multiples visages. Mario Draghi, en décembre
dernier, parlait d’ailleurs d’une « incertitude générale accrue et
protéiforme». En écoutant les présidents de la BCE et de la Fed, on
relève de nombreuses convergences dans leurs analyses. Rien de
surprenant à cela : le ralentissement chinois, les négociations
commerciales, l'inquiétude liée au Brexit, la fermeture des services
publics par le gouvernement américain ont des répercussions à
l’échelle mondiale. Jerome Powell a parlé d'une économie américaine
qui reste forte, malgré l'affaiblissement de certaines données
d'enquête, mais de plus en plus confrontée aux vents contraires
mentionnés. Cela met la Fed en situation de devoir gérer les risques,
ce qui lui impose de faire preuve de patience. Attendre la publication
de données supplémentaires avant de décider du prochain
changement de politique (notez que la direction prise n’est pas
indiquée) est d’autant plus facile que « les arguments en faveur d’une
hausse des taux se sont affaiblis ». Les risques en matière d’inflation
et de déséquilibres financiers (c’est-à-dire de bulles) ont reculé. En
outre, les conditions financières, évaluées par la Fed sur base d’un
grand nombre de données de marché, telles que les volatilités et les
spreads, se sont nettement resserrées en décembre et, malgré une
certaine amélioration, elles sont restées tendues.
Les conditions financières sont importantes dans la pensée de la Fed. Après tout, comme l’a dit Powell, la politique monétaire consiste à les modifier afin d’influencer la croissance et l’inflation. Cela signifie également qu’un resserrement de ces conditions influe sur les perspectives de croissance et, partant, sur l’évaluation du niveau approprié du taux officiel.
Assez logiquement, le FOMC a conclu qu’au regard des vents contraires, de conditions financières plus serrées, de données d’enquête en baisse et d’une inflation sous contrôle, il lui faudrait faire preuve de patience dans ses décisions de politique monétaire, d’autant plus qu’il s’est fixé un objectif d'inflation symétrique et qu’il dispose d’une marge de manœuvre limitée en cas de ralentissement majeur.
Ce message plus accommodant a évidemment entraîné une baisse des rendements obligataires et freiné l'évolution attendue du taux des fonds fédéraux. Le marché des actions, quant à lui, a applaudi la décision : des taux plus bas impliquent une valeur actuelle plus élevée des flux de trésorerie futurs. Il convient toutefois de faire preuve de réalisme : l'inquiétude finira par passer du dénominateur (le taux d'actualisation) au numérateur (le flux de trésorerie) et, à cet égard, le fait que les marchés de taux tablent sur un assouplissement monétaire en 2020 fait réfléchir. Si cette anticipation s’avérait correcte, cela signifierait que dans environ 12 mois, le FOMC considérerait sa politique comme trop restrictive compte tenu des perspectives de croissance.
De toute évidence, d’ici-là beaucoup de données ne manqueront pas d’influencer les prix de marché et, par conséquent, les anticipations de la politique de la Fed. Les données PMI de Markit pour le secteur manufacturier au mois de janvier ont fourni des arguments à ceux qui estiment le verre maintenant à moitié vide. Bien que l’indice de la France ait rebondi, l’indicateur pour la zone euro est désormais très proche de 50 et celui de l'Allemagne est passé juste en dessous de cette barre (49,9 contre 60,6 en février dernier). L'indice de l’Espagne est en hausse tandis que l’Irlande souffre des craintes liées au Brexit. A noter également, la nouvelle baisse de l’indice chinois, bien en dessous de la barre des 50.
Lors de la conférence de presse, un journaliste a demandé si le
changement de ton de la Fed montrait qu’elle avait cédé aux
pressions de la Maison-Blanche. Sans surprise, la réponse a été
ferme (« nous ne discutons jamais de considérations politiques »). Le
président de la Fed a habilement évité de répondre directement à la
question de savoir s'il avait fourni une option put aux marchés
financiers. En réalité, les objectifs sont alignés : l'administration
américaine a besoin d'une économie florissante, les investisseurs en
actions veulent une croissance des bénéfices et la Fed compte
remplir son mandat. Pour ce faire, elle a pris un virage mais nous
ignorons où mène la route : vers un resserrement ou un
assouplissement ? La réduction de l'incertitude concernant les
relations commerciales entre les États-Unis et la Chine contribuerait à
accroître la visibilité. Elle augmenterait également l'efficacité des
efforts chinois pour stimuler la croissance, dont l’importance revêt une
dimension mondiale.