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Le retour de l’inflation

Hélène Baudchon
Hélène Baudchon
économiste au sein de BNP Paribas

En juillet 2018, la hausse des prix à la consommation en France dépassait la barre des 2 % sur 1 an, une première depuis début 2012. Le débat sur le retour de l’inflation a toutefois rapidement tourné court, celle-ci refluant sous les 2 % dès novembre 2018. En avril 2019, elle s’élève à 1,3 %. Comment expliquer de telles fluctuations ? Quelles conséquences sur l’épargne, les entreprises, l’économie… ? Les explications d’Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas.

Que signifie le retour de l’inflation pour l’économie ?

On parle d’inflation dès lors que l’on observe une hausse généralisée, durable et auto-entretenue des prix. La dimension généralisée de la hausse des prix est particulièrement importante pour mieux comprendre pourquoi l’élévation de l’inflation à l’été 2018, au-delà de la barre des 2 % pour la première fois depuis début 2012, ne signait pas véritablement son retour. 

En effet, il ne suffit pas que le prix d’un produit en particulier, en l’occurrence les prix du pétrole, augmente de manière sensible et pousse à la hausse l’indice global des prix à la consommation pour pouvoir parler d’inflation. Dans un tel cas, on parle de déformation des prix relatifs et non d’inflation. Pour mieux appréhender la tendance de fond de l’inflation (elle-même représentative de la tendance de fond de l’activité), indépendamment des fluctuations des prix des produits les plus volatils (énergie mais aussi alimentation), il faut regarder l’évolution des prix dits sous-jacents. En France, la mesure nationale de cette inflation sous-jacente est aussi corrigée des mesures fiscales et des tarifs publics.

L’INFLATION CORRESPOND À UNE CONJONCTION DE 3 CRITÈRES : UNE HAUSSE GÉNÉRALISÉE, DURABLE ET AUTO-ENTRETENUE DES PRIX.

Or, cette inflation sous-jacente reste désespérément basse : à l’été 2018, lorsque l’inflation totale dépassait 2 %, l’inflation sous-jacente se situait juste sous la barre des 1 %. Et lorsque l’inflation totale a amorcé son reflux en novembre 2018, sous l’effet de celui des prix du pétrole, l’inflation sous-jacente s’orientait aussi à la baisse. En avril 2019, dernier point connu au moment où nous écrivons, l’inflation totale se situe à 1,3 % sur 1 an et l’inflation sous-jacente à 0,7 %.

Ces chiffres indiquent-ils une reprise d’activité ?

En théorie, oui, une inflation plus élevée suit la reprise économique ; en pratique, ce n’est pas évident. Au regard de la dynamique des prix observée aujourd’hui, le signal reste faible. Entre 2017 et 2018, on a bien observé une hausse de l’inflation sous-jacente (passée de 0,4 % en moyenne annuelle à 0,8 %) mais la faible ampleur de cette hausse ne cesse d’interroger. Elle est en-deçà de ce que suggéraient les signaux de pressions inflationnistes se développant en amont (prix de production, délais de livraison, jugement des chefs d’entreprise sur les perspectives générales de prix), la hausse de l’activité et le début d’accélération des salaires. En plus du caractère généralisé de la hausse des prix qui fait défaut, il manque donc aussi le caractère durable et auto-entretenu. Autrement dit, la boucle prix-salaires qui accompagne habituellement les phases de reprise n’est pas à l’œuvre : hausse des prix et hausse des salaires ne s’autoalimentent pas, pas encore en tout cas veut-on croire.

Photo : Hélène Baudchon

L’inflation dite « sous-jacente » et la hausse du pouvoir d’achat suivent-elles ?

Non, l’inflation sous-jacente n’a pas suivi la hausse de l’inflation totale : entre janvier et juillet 2018, cette dernière a gagné 1 point de pourcentage (passant de 1,3 % à 2,3 % sur 1 an) tandis que l’inflation sous-jacente est restée stable à 0,9 %. C’est le signe que la mécanique inflationniste n’est pas encore enclenchée, en tout cas pas de manière tangible. D’où l’effet négatif important sur le pouvoir d’achat d’une hausse de l’inflation totale seulement tirée par les prix du pétrole, sans l’effet atténuant d’une inflation aussi et surtout tirée par les salaires.

Des facteurs structurels pèsent sur la dynamique des salaires et de l’inflation : mondialisation, essor des CDD, révolution numérique...

L’effet désinflationniste de l’appréciation de l’euro entre la mi-2017 et la mi-2018 peut être un facteur explicatif du redressement limité de l’inflation sous-jacente. Des facteurs sectoriels ont également pesé, comme la répercussion de la baisse des APL sur les loyers dans le parc social et un nouvel épisode de baisse marquée des prix des services de communication alors que les effets de second tour de la forte hausse des prix du pétrole jusqu’en octobre 2018 (sur les tarifs aériens notamment) ne sont pas manifestes. 

Plus fondamentalement, la faiblesse de l’inflation sous-jacente peut aussi être mise sur le compte d’un effort des entreprises sur leurs marges, soutenable jusqu’ici car la hausse du coût unitaire du travail (coût du travail corrigé des gains de productivité) est somme toute récente et modeste.

Des facteurs structurels pèsent aussi sur la dynamique des salaires et de l’inflation et contribuent à distendre la boucle prix-salaires, aboutissant à une inflation sous-jacente toujours inconfortablement basse. Pêle-mêle : la mondialisation, la concurrence, les efforts de compétitivité, l’essor des CDD, la tertiarisation de l’économie, la baisse du taux de syndicalisation, la révolution numérique, la faiblesse des gains de productivité ou encore le vieillissement démographique. 

La hausse de l’inflation est un des signaux avant-coureurs d’une fin de cycle. 

Pourquoi un taux d’inflation élevé est-il généralement associé à un ralentissement de la croissance ?

Parce qu’une inflation forte aujourd’hui est la conséquence d’une croissance forte hier, mais la cause possible d’une croissance contemporaine et future plus faible. La hausse de l’inflation est un des signaux avant-coureurs d’une fin de cycle : elle est le signal attendu d’une machine économique en surchauffe, l’étape d’après étant le retournement et la récession.

Photo ©fazon

Quelles sont les conséquences sur l’épargne et l’investissement ? 

Une inflation plus élevée finit par peser sur la croissance parce qu’elle tend à réduire le pouvoir d’achat des ménages et donc leur consommation. Dans ce cas (cas de figure le plus fréquent), l’inflation pousse à la hausse l’épargne des ménages. Une inflation plus élevée peut toutefois aussi se traduire par une épargne plus basse en cas de comportement de « fuite vers la monnaie », c’est-à-dire si les ménages effectuent leurs achats dès aujourd’hui pour ne pas les payer plus chers demain. Ce comportement peut s’observer dans des situations d’inflation galopante, ce qui est très loin d’être le cas des pays développés en général, et de la France en particulier.

Du côté des entreprises, un environnement plus inflationniste, dans un contexte de demande plus forte, peut leur être un temps favorable. C’est le cas lorsque cet environnement plus favorable relâche la contrainte concurrentielle et permet aux entreprises des hausses plus importantes de leur prix de vente sans trop risquer de perdre des parts de marché. Mais en augmentant les coûts de production (par le biais des hausses de salaires et des consommations intermédiaires), l’inflation finit par peser sur les marges des entreprises et donc sur leurs dépenses (investissements et embauches).

Dans le cas de figure le plus fréquent, l’inflation pousse à la hausse l’épargne des ménages.

Une inflation plus élevée s’accompagne également de taux d’intérêt plus élevés : la hausse des taux d’intérêt réels qui s’ensuit tend aussi à freiner la croissance via le durcissement des conditions de financement et d’accès au crédit qui pèse sur les dépenses de consommation et d’investissement. L’effet sur l’épargne est ambigu : elle peut se trouver stimulée par les taux d’intérêt plus élevés (qui rapportent plus) ou pas (l’épargne augmente ou est maintenue par le seul effet de son plus grand rendement). L’effet macroéconomique qui domine in fine est celui d’une hausse de l’épargne en cas d’inflation et de taux plus élevés.

La situation actuelle a toutefois ceci de particulier que nous verrions d’un bon œil, au moins temporairement, une inflation plus élevée parce qu’elle serait d’abord le signe positif d’un dynamisme retrouvé de l’activité suffisamment important pour se transmettre au prix, et plus globalement le signe attendu d’un fonctionnement plus normal de l’économie, avant d’être une source d’inquiétudes quant à ses conséquences négatives sur l’activité.

Une inflation plus élevée s’accompagne également de taux d’intérêt plus élevés.

La BCE freine des quatre fers alors que la remontée des taux est l’un de ses objectifs. Pourquoi ?

Dans les années 1980, les banques centrales des pays développés ont lutté avec succès contre l’inflation trop forte ; aujourd’hui, elles luttent contre une inflation trop faible.

La BCE n’a pas stricto sensu d’objectif de remontée des taux d’intérêt : on peut imaginer qu’elle souhaiterait pouvoir les remonter le plus tôt possible, mais elle ne le fera que lorsqu’elle sera convaincue que l’inflation dans la zone euro se dirige bien vers sa cible, à savoir une inflation proche mais inférieure à 2 %. Cela suppose que la BCE soit convaincue du caractère généralisé, durable et auto-entretenu de l’inflation, ce qui n’était pas le cas à l’été 2018 alors même que l’inflation dépassait 2 % et ce qui n’est pas plus le cas aujourd’hui sur fond de reflux de l’inflation totale, d’extrême sagesse de l’inflation sous-jacente et de risques baissiers sur la croissance. 

Le renversement de situation est notable : après avoir lutté dans les années 1980 contre l’inflation trop forte, avec succès, les banques centrales des pays développés se retrouvent à lutter aujourd’hui contre une inflation trop faible, un combat difficile dont on ne sait pas encore si elles l’emporteront.

Selon les prévisions de la Banque de France, l’inflation devrait redescendre en 2019 avant de remonter légèrement  en 2020. Pourquoi ? Quelles conséquences ?

Dans ses dernières projections, datant de mars 2019, la Banque de France prévoit que l’inflation française s’établisse à 1,3 % en moyenne annuelle en 2019 et à 1,6 % en 2020, après 2,1 % en 2018 (mesure harmonisée). La baisse anticipée de l’inflation en 2019 résulte essentiellement d’un effet pétrole (attendu en baisse, en moyenne, par rapport à 2018). Du côté de l’inflation sous-jacente, la Banque de France table sur une stabilité à 0,9 % (mesure harmonisée). 

En 2019, ce reflux attendu de l’inflation totale est un élément de soutien non négligeable du pouvoir d’achat des ménages (en sus des baisses d’impôts) et donc, plus généralement, un facteur de soutien à la croissance. Mais c’est sans compter la forte remontée des prix du pétrole depuis le début de l’année qui vient jouer les trouble-fête. L’inflation pourrait ainsi être plus élevée que prévu et les gains de pouvoir d’achat attendus en 2019 s’en trouveraient réduits d’autant. En 2020, sous l’hypothèse d’une stabilité des prix du pétrole, la remontée attendue de l’inflation à 1,6 % est le fruit de celle de l’inflation sous-jacente (à 1,2 %), elle-même due au plus grand dynamisme des salaires. Cela correspond, à nos yeux, à de la bonne inflation, une inflation favorable à la croissance et non préjudiciable malgré sa hausse.

En mars 2019, la Banque de France prévoyait que l’inflation française s’élèverait à 1,3 % en moyenne annuelle en 2019.

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