Pourriez-vous brièvement rappeler la définition du Quantitative Easing ?
Une politique de quantitative easing consiste, pour une banque centrale, à acheter massivement de la dette publique et privée à moyen-long terme.
Deux canaux de transmission peuvent être distingués.
Le premier, direct, est purement comptable. Les achats de titres par la Banque Centrale Européenne (BCE) auprès des banques commerciales ou de la clientèle de ces mêmes banques accroissent leurs réserves en monnaie centrale. L’abondance de monnaie centrale réduit les taux sur les marchés interbancaire et monétaire. Outre les réserves des banques commerciales, les achats de titres de la BCE auprès des agents non bancaires gonflent également les dépôts liquides desdits agents auprès des banques commerciales, qui sont constitutifs de la masse monétaire.
Le deuxième effet est moins direct mais c’est aussi le plus important. La baisse des rendements sur les marchés obligataires inhérente aux achats de la BCE réduit les coûts de financement et en stimule la demande. La reprise des financements bancaires soutient la croissance de la masse monétaire, en vertu de l’adage « les crédits font les dépôts. »
Quel est le rôle des banques centrales ? Pourquoi interviennent-elles ?
La politique monétaire a pour principal objectif de maintenir l’inflation à proximité d’un taux cible, de 2% dans la zone euro et aux Etats-Unis. Les banques centrales mènent traditionnellement une politique de taux mais avec l’épuisement des marges de manœuvre, elles ont été contraintes d’adopter des mesures non conventionnelles afin de préserver l’efficacité de la politique monétaire. Dans la zone euro, on peut citer les opérations de refinancement à plus long terme, telles que Long Term Refinancing Operations (LTRO), ou Targeted Longer-Term Refinancing Operations (TLTRO), entre décembre 2011 et mars 2017), puis le taux de la facilité de dépôt négatif depuis juin 2011, ou bien encore le Quantitative Easing (QE).
Quel est l’impact du Quantitative Easing sur l’économie réelle ?
En pratique, après trois années consécutives de recul, les encours de crédit bancaire au secteur privé non financier de la zone euro ont bien renoué avec des évolutions positives depuis mai 2015 et continuent d’accélérer aujourd’hui (+2,4% en septembre 2017). En revanche, la croissance de la masse monétaire est certes dynamique mais elle est relativement stable (entre 4% et 5% par an) depuis 2015. Outre les effets indirects consécutifs à la baisse des taux, l’accroissement de la masse monétaire aurait pu découler d’éventuelles ventes de titres par des agents résidents non bancaires à la BCE. Nos calculs suggèrent toutefois que les principaux vendeurs de titres sont d’une part les banques commerciales, ce qui contribue à gonfler leurs réserves en banque centrale, et d’autre part, le reste du monde.
Pourquoi se dirige-t-on vers la fin du Quantitative Easing aux États-Unis ?
La Federal Reserve a lancé trois programmes d’achats d’actifs successifs depuis novembre 2008, qui ont porté ses avoirs en titres de moins de 500 milliards de dollars à la fin de 2008 à plus de 4 200 milliards à la fin de 2014. Les titres achetés dans ce cadre furent principalement des bons du Trésor et des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) garantis par les agences. En décembre 2013, la Fed a annoncé la baisse progressive de ses achats d’actifs (le tapering) et laissé entrevoir une réduction plus sensible si le marché du travail s’améliorait et si l’inflation se rapprochait de la cible de 2%. C’est ce qui fut fait progressivement et le programme d’achat d’actifs s’est achevé en octobre 2014. En octobre 2017, conformément à ce qu’elle l’avait annoncé en septembre, la Fed a entamé une étape très importante, qui est la diminution de la taille de son bilan. Cette baisse sera obtenue par la baisse des réinvestissements au regard des remboursements par les émetteurs des titres détenus par la Fed.Pourquoi la FED a-t-elle annoncé la fin du Quantitative Easing ? Cette mesure a-t-elle déjà pris effet ? Quel est le contexte économique qui explique cette décision ?
Cette décision est motivée par la confiance que place désormais la Fed dans l’économie américaine, jugée désormais suffisamment robuste pour se dispenser de la béquille du QE. L’inflation sous-jacente avait enregistré sa plus forte hausse mensuelle en août (+0,25%, la hausse annuelle étant stable à 1,7%). L’inflation globale était remontée à 1,9%, un niveau conforme à l’objectif (2%). La Fed a souligné qu’elle pourrait être temporairement attisée par la hausse ponctuelle des prix de l’énergie consécutive aux ouragans, mais se stabiliser, à moyen terme à proximité de l’objectif. En septembre, l’inflation globale a légèrement accéléré (+2,2% sur un an) sous l’effet des prix de l’énergie, sa composante sous-jacente prolongeant la tendance (+1,7%). Parallèlement, l’économie américaine croît depuis le deuxième trimestre à un rythme annuel de 3% et l’emploi continue de s’améliorer. Le taux de chômage, en forte baisse depuis le début de l’année (4,2% en septembre contre 4,7% en janvier), est tombé à son niveau le plus bas depuis 17 ans en octobre (4,1%).
Quelle est la situation en Europe ?
Si on exclut les programmes d’achats de covered bonds et d’ABS initiés en 2009 et 2014, qui portaient sur des montants beaucoup plus modestes, on peut considérer que le QE a véritablement débuté en mars 2015, date à laquelle fut lancé le programme d’achat de titres publics. Celui-ci a été complété, à compter de juin 2016, par un programme d’achats d’obligations corporate. Les achats de titres (publics et privés confondus), fixés initialement à 60 milliards par mois ; ont été augmentés à 80 milliards par mois à partir d’avril 2016, puis réabaissés à 60 milliards à partir d’avril 2017.
Au 3 novembre 2017, les avoirs de la BCE en titres acquis dans ce cadre atteignaient 2188 milliards d’euros, dont l’essentiel sous forme de titres émis par le secteur public (1804 milliards). La BCE a franchi une nouvelle étape importante en annonçant , le 26 octobre dernier la réduction de ses achats mensuels à 30 milliards à partir de janvier 2018. Elle prévoit de poursuivre ses achats de titres au moins jusqu’en septembre 2018, tout en se réservant la possibilité d’en prolonger la durée ou d’en accroître de nouveau le montant si nécessaire. La BCE est donc entrée en phase de tapering, lequel se traduira par une croissance moins rapide de son bilan. Nous sommes donc encore loin de la fin du quantitative easing à proprement parler, qui impliquerait que la BCE réduise – ou « normalise » - la taille de son bilan.
La fin du Quantitative Easing annonce-t-elle un retour à la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation ?
A l’instar des autres mesures d’assouplissement de la politique monétaire, le Quantitative Easing vise à apporter un soutien à l’économie réelle lorsque celui-ci est nécessaire pour maintenir l’inflation au-dessus d’un niveau critique mais aussi pour soutenir la croissance et l’emploi. La fin proprement dite du QE est encore loin puisque la BCE est encore en phase de réduction extrêmement progressive de son rythme d’achats mensuels. A un horizon plus lointain (2019, 2020), le probable début de normalisation du bilan de la BCE devrait conduire à une remontée des taux longs sous l’effet des anticipations de marché. Ainsi, aux Etats-Unis, les rendements des T-Notes à 10 ans se sont tendus de plus de 30 points de base depuis le début de septembre, mois au cours duquel la Fed a annoncé son intention de dégonfler progressivement son bilan. Le QE, de même que les autres mesures accommodantes de politique monétaire, vise à ramener une inflation insuffisante vers le niveau cible. Si l’inflation revient aux alentours de 2%, ce sera (en partie) une conséquence du QE et donc une cause, et non une conséquence, de la fin du QE. En octobre 2017, l’inflation annuelle a légèrement reculé dans la zone euro (+1,4% contre +1,5% en septembre). De même, la normalisation de la politique monétaire présuppose que la croissance et l’emploi demeurent bien orientés.
Quels sont les risques et opportunités de ces impacts ?
Mario Draghi affirme vouloir garder les taux directeurs bas sur une longue période après la fin du Quantitative Easing, pourquoi ?
C’est assez logique car les mesures non conventionnelles viennent en complément de la baisse des taux, qui demeure l’instrument conventionnel. Pour des raisons de lisibilité, il convient donc d’interrompre les achats d’actifs préalablement à toute remontée des taux directeurs. C’est le chemin qu’a emprunté la Fed : la première remontée des taux est intervenue en décembre 2015, soit plus d’un an après les derniers achats dans le cadre du QE. L’hétérogénéité des situations économiques nationales au sein de la zone euro constitue un important défi pour la BCE. La remontée des taux doit être à la fois suffisante pour prévenir l’apparition d’éventuelles tensions dans les économies dynamiques caractérisées par un taux de chômage bas (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, plusieurs pays d’Europe de l’Est) et empêcher la formation de bulles. A contrario, elle ne doit pas être trop rapide au risque de freiner la reprise dans d’autres pays (Italie, Belgique, voire l’Espagne où, en dépit d’une croissante relativement forte, le chômage demeure élevé).
Même si les volumes de crédit ont bénéficié du Quantitative Easing, l’élargissement de ces derniers n’a pas compensé l’effet de la contraction des marges sur les revenus bancaires, dont l’incidence est particulièrement visible dans les activités de banque de détail. Une remontée progressive des taux serait de nature à soutenir les revenus bancaires.
Pourquoi cette mesure doit-elle se faire progressivement ?
Compte tenu des volumes conséquents d’achats de la BCE, une sortie trop rapide du QE pourrait déstabiliser le marché obligataire et entraîner une remontée brutale des taux à long terme. Cela exercerait potentiellement des effets de richesse négatifs sur les agents économiques détenant des portefeuilles obligataires (dont les compagnies d’assurance et les banques, notamment). S’agissant des banques, une prolongation de la situation de taux bas n’est évidemment pas souhaitable car elle réduirait durablement le rendement du portefeuille. Pour autant, une remontée trop rapide des taux d’intérêt présenterait le risque d’une hausse du coût des ressources bancaires plus rapide que celle du rendement des actifs bancaires (les premières ayant une duration inférieure aux seconds du fait de la transformation des maturités opérée par les banques).
L’écrasement des marges bancaires qui découlerait d’un retrait trop rapide du QE et les tensions sur les taux pourraient affecter négativement le financement de l’économie réelle, ce qui constitue évidemment un écueil à éviter. La banque centrale est également soucieuse de ne pas déstabiliser les marchés.
Aux Etats-Unis, le Dow Jones avait chuté et les rendements obligataires s’étaient tendus à l’issue de l’annonce, par la Fed, du début du tapering « au cours des prochaines réunions du Comité de politique monétaire » en mai 2013, puis de celle, en juin, du début de la réduction de ses achats (tapering) pour le mois de septembre suivant. En septembre 2013, au vu des dernières évolutions économiques, la Fed avait reporté le tapering. Conformément à sa communication de décembre 2013, celui-ci débuta finalement en janvier 2014.
Au regard de cette expérience, la BCE continuera d’agir avec douceur et dans le cadre d’une stratégie de communication (forward guidance) dont elle s’attachera à préserver la lisibilité pour les observateurs.