Le goût de l’entrepreneuriat, l’amour du textile et de la mode… C’est inscrit dans les gênes de la famille Janssens ?
Je ne sais pas s’il y a une part de génétique dans le désir d’entreprendre et de créer sa propre activité. Toujours est-il qu’il est vrai que je baigne dans un univers d’entrepreneurs depuis toute petite, entourée de mon père, engagé dans la valorisation du patrimoine à Auvers-Sur-Oise et de ma mère qui a créé il y a plus de trente ans la boutique de tissus haute couture Janssens & Janssens. Le textile et la mode, eux, semblent bel et bien inscrits dans l’ADN de ma famille car ma grand-mère a toujours travaillé dans ce milieu, pour Givenchy et Saint-Laurent notamment.
Votre voie était donc toute tracée…
Pas du tout ! Enfant et adolescente, je ne me voyais pas évoluer dans le secteur de la mode. Petite, je voulais même être chirurgien. Après une prépa, je suis entrée à l’ESSEC avec l’idée de m’orienter dans le domaine de l’hôtellerie… C’est là que la mode m’a rattrapée, presqu’inconsciemment : je voyais les couturiers peu à peu disparaître, incapables de résister à la poussée du prêt-à-porter, les ateliers et les magasins de tissus qui fermaient (la boutique de ma mère est la dernière de Paris !). Je constatais ce déclin alors que dans le même temps, les consommateurs attendaient des produits de qualité et toujours plus personnalisés. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire ! À 24 ans, après avoir fait l’école de mode de l’Académie Internationale de la Coupe de Paris, des stages auprès de maîtres tailleurs et d’une culottière de 80 ans à l’incroyable savoir-faire, j’ai donc décidé de lancer mon entreprise spécialisée dans la confection de pantalons sur-mesure.
Comment avez-vous monté votre projet d’entreprise ?
J’ai étudié le secteur et mené une enquête auprès de 1 000 anciennes de l’ESSEC sur leurs habitudes d’achats « mode ». Un résultat a attiré mon attention : en moyenne, une femme visite 6 boutiques avant de trouver un pantalon et elle n’achète jamais le meilleur mais le moins mauvais. Un choix par défaut donc. J’ai donc choisi d’adapter mon offre aux attentes des femmes actuelles : du style, des étoffes de grande qualité et des délais courts.
J’ai créé une appli de prises de mesures sur tablette qui permet de sortir immédiatement les patrons et de les envoyer à mes ateliers partenaires, tous situés en France. Trois ans plus tard, j’ai ma boutique rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, un corner au Bon Marché, 1 500 clientes régulières et un taux de fidélité exceptionnel de 70 %. Quand je me suis lancée, je savais à quoi m’attendre. Mais on ne prend la mesure et l’ampleur de la tâche qu’une fois entré dans le vif du sujet.
on ne prend la mesure et l’ampleur de la tâche qu’une fois entré dans le vif du sujet.
La grande richesse des petites entreprises c’est la réactivité. On peut tester, adapter, évoluer très facilement.
Votre aventure semble facile. Vous n’avez subi aucun écueil ?
C’est vrai que résumée, l’histoire a tout du conte de fée. L’envers du décor est un peu moins glamour. Car même entourée d’entrepreneurs, lancer sa propre affaire impose de se confronter à un grand nombre de démarches, d’aléas, de questions… Je me suis lancée seule, je gérais tout. La tête dans le guidon. J’étais jeune, j’habitais chez mes parents, je pouvais consacrer tout mon temps à mon affaire. Avec le recul, je pense que j’aurais gagné en sérénité à rejoindre un réseau dès le départ pour bénéficier de conseils, d’informations (sur les aides financières par exemple) et m’aider à prendre de la hauteur.
De quel type d’accompagnement avez-vous bénéficié ?
Trois ans après la création de mon entreprise, j’ai senti des difficultés à progresser. C’est là que j’ai pris contact avec la Women Initiative Foundation de Martine Liautaud qui m’a « coachée » durant un an et demi : lors de séances d’une heure trente, régulières, où on traitait d’une problématique précise (la trésorerie, les finances, l’organisation…). Ce mentoring et la grande bienveillance de Martine, son regard extérieur, m’ont donnée confiance et permis de mieux structurer mon entreprise.
Vous avez également participé au programme Femmes Entrepreneures de BNP Paribas Wealth Management...
Oui. En juillet 2018, nous étions 40 femmes de 14 pays réunies à Stanford aux États-Unis, pour une semaine de cours de haut niveau sur le marketing, la finance, la stratégie d’entreprise… Au-delà de la qualité de l’enseignement, cette semaine a permis d’échanger entre femmes entrepreneures venues de divers horizons et de nouer des liens très solides. Je reste d’ailleurs en contact étroit avec trois d’entre elles, dont une Américaine qui tient une agence de communication à New-York et qui m’aide à construire une stratégie de com’. Une étape essentielle pour faire connaître ma marque en dehors de Paris et continuer le développement de mon entreprise. Grâce au programme Femmes Entrepreneurs de BNP Paribas Wealth Management (lien inactif), j’ai rencontré des entrepreneures extraordinaires. Je sais que je peux les contacter à tout moment. Quand je leur envoie un mail, j’ai une réponse dans les 2 jours !
Avez-vous ressenti, en tant que femme, des difficultés particulières dans la création de votre entreprise ?
Être une femme ne m’a jamais paru être un handicap, même si, lors de ma recherche de financement initial, j’ai essuyé neuf refus de banquiers avant de trouver ma banque partenaire. La difficulté tenait plus au secteur d’activité dans lequel je voulais me lancer, le textile, qu’à ma qualité de jeune femme. Mais, hasard ou pas, la personne qui a monté mon plan de financement était une femme. En fait, homme ou femme, c’est la qualité du projet qui est évaluée, sa solidité et sa capacité d’innovation. Comment faire la différence, comment se démarquer de la concurrence, telle est la question ! Et l’une des clés de la réussite, aussi.
Quels conseils donneriez-vous à celles qui voudraient monter un projet d’entreprise ?
Je ne possède pas la recette magique qui mène au succès. Elle n’existe d’ailleurs pas. Je retire cependant plusieurs leçons de ma propre expérience. Tout d’abord, il faut que le concept et le projet résonnent avec un besoin : il faut toujours se placer du côté du client et réfléchir à la meilleure façon de le satisfaire. Ensuite, il ne faut pas se laisser emporter par son projet. Il est important de prendre le temps de le questionner, de l’adapter, de l’améliorer. Enfin, l’accompagnement est essentiel : le soutien de la famille et des proches est un moteur pour l’entrepreneur et les réseaux de professionnels permettent d’accélérer et d’éviter les erreurs.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Aujourd’hui, alors que mon entreprise est en phase de croissance, ma priorité reste toujours de bien structurer l’activité tout en réfléchissant aux axes de développement : augmenter la notoriété de la marque et offrir à mes clientes de nouveaux services en lien avec l’univers du vêtement. Continuer d’innover, en quelque sorte ! L’une de mes grandes fiertés est de participer au maintien du savoir-faire en France. Quand un atelier partenaire me dit qu’il va embaucher grâce à mes commandes, je suis heureuse.