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S’orienter dans un monde multilatéraliste en mutation

Publié Aujourd'hui

Alors que le système économique international enregistre de profonds changements, le multilatéralisme et la coopération internationale peuvent-ils permettre de relever les défis internationaux ?

Quelle est la place du multilatéralisme dans le monde d’aujourd’hui ? 

Les débats sur l’orientation future de la gouvernance économique internationale, en particulier le rôle du dollar au sein du système monétaire international, soulèvent des interrogations critiques sur les fondements de la coopération internationale et la place du multilatéralisme dans le monde d’aujourd’hui.  

Lors de l’édition 2025 de la Global Official Institutions Conference (GOIC) de BNP Paribas, les intervenants ont examiné ces questions et fait le point sur l’état actuel du multilatéralisme. Les discussions ont porté sur l’évolution des principaux piliers de la coopération internationale, tels que les alliances stratégiques, le financement du développement et la participation du secteur privé, en mettant l’accent sur les défis auxquels l’Union européenne est confrontée dans un environnement géopolitique complexe.

L’ordre international subit une transformation en profondeur, confronté à des tensions croissantes, au désengagement américain, à une Europe qui manque d’unité et à la remise en cause des institutions multilatérales. Cette situation nécessite un débat approfondi sur les causes de cette crise systémique et sur les voies à explorer pour mettre en place de nouvelles formes de coopération. 
Jean Lemierre
Président du Conseil d’administration de BNP Paribas

Moins de coopération mondiale et plus de concurrence économique

Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund, a noté une tendance mondiale vers une moindre coopération et une concurrence économique accrue. Cette évolution touche tous les domaines, de la technologie au commerce, en passant par la sécurité, le changement climatique et la santé, ce qui rend la coopération internationale encore plus difficile.

Les pays recherchent une autonomie stratégique, la Chine se concentrant sur la technologie et l’Europe investissant dans sa base industrielle. « On peut également parler de « derisking » (réduction des risques), qui a naturellement un impact sur la capacité des pays à coopérer et crée encore plus de frictions. Ces tendances existaient déjà auparavant, mais elles s’accélèrent aujourd’hui, rendant les crises plus difficiles à gérer pour les grandes puissances du monde entier », a déclaré Alexandra de Hoop Scheffer. Elle a également observé que, plutôt que de s’appuyer sur de grandes institutions multilatérales pour résoudre les défis mondiaux, on assiste au recours accru à des organisations minilatérales, des coalitions ad hoc et du bilatéralisme.

Aujourd’hui, je pense qu’il est essentiel, en tant que groupe de réflexion américain de premier plan, d’aider à distinguer les « bruits » des signaux. Examinons les tendances profondes qui remodèlent la politique et la société aux États-Unis et en Europe, et réfléchissons à la manière dont ces tendances vont redéfinir la perception de chaque pays, les alliances et le système mondial au sens large.
Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund

En ce qui concerne l’Europe, Alexandra de Hoop Scheffer estime que le continent européen « doit réussir trois transitions cruciales : énergétique, numérique et géopolitique et réduire ses dépendances tout en maintenant des relations stratégiques solides ».

Elle plaide également en faveur de la création d’alliances stratégiques avec d’autres puissances émergentes, soulignant la nécessité de faire preuve de créativité et d’innovation : « Les anciennes méthodes ne fonctionnent plus ; les organisations multilatérales, les institutions financières, les banques, les groupes de réflexion et les gouvernements doivent travailler ensemble pour être en mesure de relever les défis futurs. »

Une période charnière pour le financement du développement 

Jorge Familiar, vice-président et trésorier de la Banque mondiale, a souligné que lorsque la coopération prévaut sur la confrontation, la prospérité, la croissance, le bien-être et la réduction de la pauvreté s’en trouvent renforcés. C’est là, selon lui, que réside la raison d’être des institutions multilatérales telles que la Banque mondiale. Selon lui, la Banque mondiale est l’un des moteurs de mobilisation de capitaux privés les plus efficaces jamais créés : 

Si l’on prend l’exemple de la BIRD, notre capital libéré s’élève à 20 milliards de dollars, ce qui nous a permis d’aller sur les marchés, de lever 1 000 milliards de dollars et d’octroyer 830 milliards de dollars de prêts qui ont eu un impact significatif sur le développement à travers le monde. 
Jorge Familiar, vice-président et trésorier de la Banque mondiale

Jorge Familiar a souligné la nécessité de disposer de davantage de structures pour parvenir à des accords, aider le monde progresser et gérer des situations complexes : « La Banque mondiale a renforcé sa capacité financière pour relever ces défis, en mettant fortement l’accent sur la création d’emplois, les infrastructures, la santé et l’éducation. L’énergie est également une priorité. »

Pour combler le déficit de financement, la Banque mondiale explore de nouveaux modèles financiers, tels que le passage d’un modèle « originate to hold » vers un modèle « originate to distribute » pour financer le développement. Cette approche vise à titriser les prêts, à attirer les investissements du secteur privé et à accélérer la rotation du bilan dans l’objectif de fournir un soutien accru aux économies.

« La Banque mondiale offre le plus de valeur ajoutée lorsque personne d’autre n’est disposé à soutenir un projet, pendant la phase de construction par exemple, où les risques sont plus élevés et l’exposition financière plus longue », explique Jorge Familiar. La création de plateformes de distribution et d’instruments adaptés peut rationaliser les investissements, en passant de discussions projet par projet à des pipelines complets. « Nous pouvons aider les pays à hiérarchiser ces pipelines et à les rendre susceptibles d’être financés, de sorte qu’à un moment donné, nous verrons les institutions multilatérales travailler avec d’autres institutions multilatérales, puis avec le secteur privé, et enfin le secteur privé financer directement davantage de projets dans les pays à revenu moyen et faible. »

Pour en savoir plus, regardez l’interview vidéo, en anglais, de Jorge Familiar ci-dessous.

Le secteur privé dans l’attente d’un nouvel équilibre

Philipp Hildebrand, vice-président et membre du comité exécutif mondial de BlackRock, a souligné l’incertitude qui règne actuellement et la nécessité de trouver un nouvel équilibre : « Cette phase intermédiaire n’est pas confortable. En tant qu’investisseur, vous avez besoin d’un point d’ancrage pour vous concentrer sur les perspectives à long terme et ne pas vous laisser distraire par le bruit ambiant. »

Philipp Hildebrand anticipe un avenir marqué par des taux plus élevés et une progression des coûts, en raison de facteurs tels que les investissements dans l’intelligence artificielle et les complications liées aux flux de capitaux mondiaux. Le niveau d’endettement est également une préoccupation majeure pour les investisseurs mondiaux. Selon Philipp Hildebrand, alors que le monde connaissait une désinflation constante depuis des décennies, il est désormais confronté à un biais inflationniste structurel, qui pourrait contribuer à une volatilité accrue et à une baisse de la croissance.

Malgré les spéculations autour du dollar américain, Philipp Hildebrand souligne : « Environ 90 % des transactions sur le marché des changes impliquent le dollar pour l’une des deux parties. La domination du dollar américain est bien établie et devrait perdurer pendant un certain temps. » Il ne s’attend pas à ce que les clients se détournent du dollar américain de sitôt, mais il constate un intérêt marginal pour une réduction de l’exposition à cette devise au sein des portefeuilles institutionnels. Il souligne, pour que l’Europe puisse émerger en tant qu’alternative viable, elle doit disposer d’une infrastructure financière unifiée :

Nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire pour créer des conditions optimales. Ce processus prendra du temps, mais il pourrait marquer un moment historique pour l’intégration européenne, à l’instar du lancement de l’euro. Cela pourrait nous mener vers un monde différent, mais l’ampleur de ce changement dépendra en grande partie de la capacité de l’Europe à développer un pool d’actifs liquides sûr et de grande envergure.
Philipp Hildebrand, vice-président et membre du comité exécutif mondial de BlackRock

Le repositionnement stratégique de l’Europe

Arancha González, doyenne de l’École des affaires internationales de Sciences Po Paris, a réfléchi à l’évolution du rôle de l’Union européenne dans le paysage géopolitique actuel. Selon elle, cette période est sans précédent : « L’Europe se retrouve en train de nager à contre-courant, en s’efforçant de fédérer sa souveraineté. Nous devons commencer à agir, montrer que des progrès sont réalisés, dépenser plus, mieux et ensemble. »

Elle fait valoir que l’Union européenne dispose de la légitimité institutionnelle et de la capacité économique nécessaires pour diriger un ordre multilatéral réformé. Cela nécessite une coordination plus étroite entre les États membres et une approche transnationale unifiée. « Nous devons nous intégrer davantage, c’est faisable. Nous avons une feuille de route, mais nous devons maintenant passer à l’action », a-t-elle ajouté.

Arancha González souligne que le capital politique ne se construira pas du jour au lendemain et appelle à des propositions solides au niveau européen, visant à soutenir les États membres dans cette progression.Réfléchissant à la voie à suivre, Arancha González tient ces propos encourageants : « Nous devons offrir à nos citoyens une vision positive de l’avenir. Ce que nous devons promettre, ce n’est pas un passé glorieux, mais un avenir extraordinaire. »

Pour en savoir plus, regardez l’interview vidéo, en anglais, d’Arancha González et d’Alexandra de Hoop Scheffer ci-dessous.

Cet article a été traduit de l'anglais: Navigating multilateralism in a changing world.  Cliquez sur le lien pour visionner les interviews de Jorge Familiar, d'Arancha González et d’Alexandra de Hoop Scheffer en anglais.

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