Dans quel contexte est intervenue l’annonce de la création de nouveaux billets de 100 et 200 euros ?
L’Eurosystème a quasiment arrêté l’émission du billet de 500 €. Au 27 janvier 2019, 17 des 19 banques centrales nationales appartenant à l’Eurosystème avaient cessé d’en émettre et les banques centrales d’Allemagne et d’Autriche feront de même à partir du 26 avril prochain. Annoncée par la BCE en 2016, cette décision est motivée par la lutte contre les activités illégales, ce billet facilitant les paiements importants. Une nouvelle série de billets de 100 € et 200 € sera introduite le 28 mai 2019. L’objectif est d’offrir des billets plus sécurisés (avec des innovations telles que l’« hologramme satellite » et le « nombre émeraude »), mais aussi et surtout d’augmenter la quantité de coupures de 100 € et 200 € en circulation, afin de compenser la disparition du billet de 500 €.
Quelle est la répartition actuelle des billets en circulation ?
Selon les derniers chiffres de la BCE (décembre 2018), le billet de 500 € est la coupure la moins usitée puisqu’elle ne représente que 2,3 % du nombre total de billets en circulation libellés en euros. A l’opposé, le billet de 50 € est le plus répandu, concentrant 46,2 % du total. Si on y ajoute les « petits » billets, de montant inférieur à 50 €, la proportion atteint environ 85 % du total.
En toute logique, les « grosses coupures » voient leur proportion s’accroître lorsque l’on s’intéresse non plus au nombre mais à la valeur des billets en circulation. Le billet de 500 € concentre ainsi 21% de cette dernière. C’est loin d’être négligeable mais deux fois moins que le billet de 50 € (42,4%). Le billet de 50 € occupe donc la première place tant en nombre qu’en valeur des billets libellés en euros.
Photo : Laurent Quignon
Création monétaire et impression de billets, est-ce la même chose ?
L’impression de billet n’est qu’une infime fraction de la création monétaire. Il existe deux types de création monétaire bien distincts. D’une part, la banque centrale crée la monnaie dite “banque centrale” (ou « haute puissance », « base monétaire » ou agrégat monétaire M0) constituée des pièces et des billets émis, auxquels s'ajoutent les réserves des banques commerciales auprès d'elle. Cette dernière forme ne s’échange qu’entre banques sur le marché interbancaire.
D’autre part, les banques créent de la monnaie scripturale (dématérialisée), constituée des dépôts de la clientèle à court terme inscrits au passif de leurs bilans. Ces dépôts sont de la monnaie à part entière car ils sont très liquides et permettent d’effectuer des paiements très rapidement. Cette monnaie scripturale représente une part plus importante du total de la monnaie créée, que la monnaie fiduciaire.
L’agrégat monétaire M3 (aussi appelé« masse monétaire » ou « monnaie au sens large ») est constitué à 95% environ de la monnaie utilisable par vous et moi, c’est à dire les pièces et billets que nous avons dans nos portefeuilles et des sommes dont nous disposons sur nos dépôts à vue (comptes courants), sur nos dépôts bancaires assortis d’un préavis de remboursement inférieur ou égal à trois mois (comptes sur livrets) et sur nos dépôts à terme d’une maturité inférieure ou égale à deux ans. Pour être tout à fait précis, l’agrégat M3 englobe également des titres de dette à moins de deux ans émis par les banques, qui sont négociables sur le marché monétaire, et des parts de fonds monétaires. Mais ces instruments ne constituent qu’une partie négligeable (5% environ) de la masse monétaire. Celle-ci comprend donc une partie de la monnaie « banque centrale » (les pièces et billets) et la monnaie scripturale qui en constitue de loin la plus grande partie. En décembre 2018, la monnaie fiduciaire s’élevait à 1 175 milliards d’euros, la monnaie scripturale (les dépôts de la clientèle à court terme) à 10 541 milliards d’euros, tandis que la masse monétaire totale de la zone euro s’établissait à 12 638 milliards d’euros.
Ainsi, l’impression de billets (soit la fabrication de monnaie fiduciaire) constitue bel et bien une création monétaire, mais elle n’en représente qu’une petite fraction. En outre, cette création monétaire est largement neutralisée par la destruction monétaire inhérente au retrait de la circulation par l’Eurosystème des anciens billets. Elle représentait, en 2018, à 94% du flux de nouveaux billets mis en circulation cette même année et 83% de la valeur totale du stock de billets en circulation.
Enfin, malgré le développement de nouveaux moyens de paiement (carte bancaire, sans contact, porte-monnaie électronique…), l’usage de la monnaie fiduciaire demeure très ancré dans nos habitudes.
Ainsi, les pièces et billets constituaient 7,5% de la monnaie au sens large (M3) en 1997. Leur proportion, relativement stable depuis 2015, atteignait 9,5% en 2018.
Concrètement, de quelle manière les banques commerciales créent-elles de la monnaie ?
Les banques commerciales créent de la monnaie par un jeu d’écritures comptables. Prenons l’exemple d’un particulier, Monsieur X, qui aurait souscrit un crédit à la consommation. Lors du décaissement, la banque crédite le compte courant (dépôt à vue) de Monsieur X du montant M correspondant au crédit, ce qui augmente les « dépôts de la clientèle » à son passif, et donc la masse monétaire. Dans le même temps, la banque inscrit sa créance à l’égard de Monsieur X à son actif dans le poste des « prêts à la clientèle ».
L’histoire ne s’arrête pas là. Une fois le prêt décaissé, supposons que Monsieur X achète une voiture auprès du concessionnaire Y. Il émet alors un chèque ou un virement d’un montant M au profit du concessionnaire Y. Si celui-ci dispose d’un compte dans la même banque, celle-ci effectue simplement le mouvement de compte à compte et son passif est inchangé. Si le concessionnaire Y est client d’une autre banque, le paiement Monsieur X au concessionnaire Y transite d’une banque à l’autre. Mais finalement, ce qui importe à l’économiste c’est qu’à l’échelle du système bancaire, un montant de dépôts à court terme M a été créé au passif du système bancaire, peu importe la banque. Enfin, au fur et à mesure du remboursement du prêt, la monnaie créée est progressivement détruite : la masse monétaire diminue du montant débité sur le compte de Monsieur X. De même, à l’actif de la banque, sa créance à l’égard de Monsieur X est réduite à chaque échéance du montant du principal remboursé. A l’échelle d’une banque et a fortiori de l’ensemble du système bancaire, les montants des nouveaux crédits accordés dépassent la plupart du temps les remboursements des prêts existants, de sorte que les stocks de crédit et de monnaie progressent continûment.
On entend que le crédit est la principale contrepartie (source) de la masse monétaire. Mais qu’entend-t-on exactement par “crédit” ?
L’acception est très large. Elle comprend tous les instruments financiers inscrits à l’actif d’une banque susceptibles de permettre la création de dépôts à court terme à son passif. Cela comprend les prêts accordés aux agents résidents non bancaires, comme les ménages, les entreprises, les collectivités locales ou l’État, mais pas seulement. Le terme recouvre aussi les titres de dette, voire même de fonds propres, émis par les entreprises, l’Etat ou des fonds non monétaires et achetés par des banques. Quelle que soit la nature juridique de ces instruments (prêt, billet de trésorerie, obligation, actions…), leur inscription à l’actif du système bancaire peut donner lieu à une augmentation des dépôts de la clientèle et donc de la masse monétaire.
Comment la Banque centrale agit-elle sur la création monétaire ?
Le principal objectif de la banque centrale est d’assurer la stabilité des prix. Cela signifie en pratique le maintien d’une inflation modérée (la cible de la BCE est de 2%). Avec une cible d’inflation proche de zéro, le risque de tomber dans une spirale déflationniste (baisse des prix), particulièrement difficile à combattre, serait en effet trop grand. L’outil principal de la Banque centrale est la modulation de ses taux directeurs. Elle agit ainsi sur le coût de refinancement des banques commerciales sur le marché monétaire. En bas de cycle, la baisse des taux directeurs permet aux banques de créer davantage de monnaie (via l’octroi de crédits), ce qui relance l’activité et l’inflation.
Le principal objectif de la banque centrale est d’assurer la stabilité des prix. Cela signifie en pratique le maintien d’une inflation modérée
Au contraire, quand l’économie est proche de la surchauffe, et que des tensions inflationnistes apparaissent, le relèvement des taux directeurs se répercute progressivement sur le coût des ressources bancaires et sur les conditions appliquées aux emprunteurs, et entraîne une modération salutaire de la demande de crédits.
Voici résumé le fonctionnement de la politique monétaire en temps normal. Mais la crise financière de 2008 et celle des dettes souveraines de certains pays de la zone euro en 2011 ont conduit la BCE à recourir à des mesures exceptionnelles, dites “non conventionnelles”. Entre autres dispositifs, elle a adopté à partir de 2015 une politique dite d'assouplissement quantitatif (quantitative easing), qui a consisté à acheter des volumes importants de titres de dette publique pour soutenir le marché obligataire et détendre les taux à long terme. L’influence de ces mesures sur la masse monétaire au sens large a été, en pratique, limitée par la proportion importante de titres achetés par l’Eurosystème aux banques commerciales et aux agents non-résidents. En revanche, les réserves des banques commerciales auprès de l’Eurosystème (constitutives de la « base monétaire ») ont considérablement augmenté.