Quelle est votre fonction chez RISK?
Je suis directeur des risques (Chief Risk Officer) au sein du groupe BNP Paribas. Cette fonction, à la fois intégrée et indépendante, est une fonction régalienne de contrôle. Composé de 5 500 collaborateurs partout dans le monde, RISK a pour mission de conseiller la Direction Générale sur le profil de risque de la Banque et de participer activement aux processus de prises de décisions de risques. Et ce, pour tous les types de risque : risque de crédit, risque de contrepartie, de marché, de liquidité, risque opérationnel ou risque d’assurance. Nous agissons donc comme un « deuxième regard » afin de vérifier que les décisions prises soient conformes à la stratégie du Groupe. Nous avons aussi pour mission d’alerter le management en cas d’anticipation de problèmes potentiels ou de problèmes avérés.
Pourquoi l’innovation est un sujet central au sein de RISK?
Plus qu’une autre institution, une banque se doit de conserver sa culture du risque. L’histoire nous a appris que c’est une condition indispensable pour la bonne santé d’une institution bancaire.
Aujourd’hui chez BNP Paribas, c’est un avantage compétitif qu’il nous faut préserver. Dans un monde qui change à grande vitesse du point de vue technologique, économique, réglementaire, géopolitique, la maîtrise de la prise de risque devient la condition de survie d’une entreprise. Si le monde bouge, il faut savoir bouger avec lui. En particulier, il nous faut intégrer des nouvelles méthodes d’analyse ou de travail en lien avec les technologies émergentes : intelligence artificielle (machine learning), robotique, etc. Chez RISK, notre fonction nous enjoint de constamment anticiper, surveiller et réagir. En d’autres termes, l’innovation fait partie de l’essence du métier de Risk Management.
Dans un monde qui change à grande vitesse, la MAÎTRISE de la prise de risque devient la condition de survie d’une entreprise. Si le monde bouge, il faut savoir bouger avec lui.
Pourquoi créer un incubateur d’intrapreneurs au sein de cette fonction ?
L’incubateur est le point de départ de la stratégie d’innovation de notre fonction. D’où son nom Innovation Booster. C’est un kickstart : un coup de pied pour lancer la machine.
Pouvez-vous nous décrire son fonctionnement ?
L’incubateur, lancé en mars 2017, repose sur une dimension bottom-up à l’échelle internationale. En effet, pour participer à la transformation de RISK et travailler sur des projets innovants, les collaborateurs ont candidaté avec pour prérequis une démarche totalement personnelle: la motivation, le goût pour l’innovation, le travail collaboratif et les challenges entre équipes. Ce programme était ouvert à tous les collaborateurs de la fonction, où qu’ils soient basés dans le monde. Nous avons procédé en 3 étapes : génération d’idées, incubation, prototypage.
Son lancement a généré un fort enthousiasme: nous avons reçu plus de 170 candidatures !
Parce qu’il fallait bien faire une sélection, tout en prenant soin de ne pas perdre les idées suggérées, sur les 170 candidats, 70 personnes ont été sélectionnées à travers le monde entier avec deux critères principaux : la motivation et la qualité de l’expression des idées ! Ils ont ensuite passé trois jours en avril à Paris dans un endroit décalé, hors cadre, loin de nos bureaux, pour générer des idées nouvelles.
Parmi les idées générées, cinq ont été retenues pour l’étape d’incubation: les collaborateurs volontaires et disponibles ont ainsi pu poursuivre l’aventure durant 4 x 2 jours en mai dans les locaux du WAI (We Are Innovation) à Paris.
Un processus d’accompagnement des candidats a permis ensuite de retravailler ces idées, de les confronter à la réalité, de les faire mûrir. Finalement, trois projets ont été présentés au top management de RISK et ont été approuvés pour entrer dans la phase de prototypage. Nos intrapreneurs ont disposé de deux mois pour continuer à travailler sur leurs projets. A l’issue de cette phase, les premiers prototypes et business models (modèles économiques) ont été à nouveau présentés au management pour décider du passage en production.
Les 3 projets en question développent leurs solutions, qui devraient être mises en production dès 2018 au sein de la banque.
Comment Innovation Booster s’intègre dans la stratégie d’innovation de BNP Paribas RISK ?
Innovation Booster n’est qu’un premier pas de notre politique d’innovation interne. Afin d’assurer une pérennité à cette première initiative, nous avons mis en place un environnement propice à l’innovation au quotidien. RIO (RISK Innovation Office) a été créé en juillet dernier et rassemble une équipe de 3 personnes à temps plein, dédiée à ce sujet au sein de la fonction. L’équipe s’occupe de la prospective, gère le portefeuille d’innovations, coordonne les initiatives et fait le lien avec des acteurs internes dans la banque et externes de l’innovation. À noter à ce propos que nous ne travaillons pas en silos et que nous intégrons dans nos processus des start-ups externes et des intervenants de l’univers des fintechs, regtechs, risktechs. Nous travaillons aussi étroitement avec les différents business du Groupe et leurs correspondants innovation.
si la créativité est à la portée de tous, l’innovation reste difficile et il faut avoir la volonté et l’énergie pour faire atterrir les projets en transformant les contraintes en opportunités.
Par ailleurs, nous avons développé une communauté intra RISK, un réseau de champions de l’Innovation, qui sont des ambassadeurs de l’innovation spécifiquement identifiés dans les différentes équipes de la Fonction à l’échelle internationale. L’objectif : produire des innovations tangibles et concrètes et permettre à tous ceux qui le souhaitent d’être acteurs du changement et contribuer à la transformation de RISK.
Tout cela part d’abord et avant tout de la motivation propre de nos collaborateurs, parce que si la créativité est à la portée de tous, l’innovation reste difficile et il faut avoir la volonté et l’énergie pour faire atterrir les projets en transformant les contraintes en opportunités. Il faut avoir de la résilience pour apprendre de ses erreurs et faire mieux.
Est-ce que ces actions portent déjà leurs fruits ? Quelles leçons en tirez-vous ?
Il est encore tôt pour tirer toutes les conclusions de ces actions, et nous n’en sommes qu’au tout début de notre courbe d’apprentissage. Mais déjà, on peut considérer que le message le plus important est passé: nous sommes ouverts à toutes les idées et prêts à soutenir les porteurs de projets. Je dis bien toutes les idées puisque au-delà de l’Innovation Booster (170 candidatures, 5 projets incubés, 3 projets en prototypage-industrialisation), nous avons aussi un portefeuille d’innovations, qui recense à ce jour plus d’une centaine d’initiatives innovantes que nous suivons au jour le jour. Et lorsque je rencontre les équipes, quelles que soient les nationalités, je me rends bien compte qu’elles ont parfaitement intégré ce nouvel élan et cet esprit d’innovation.
Par ailleurs, il faut considérer que les intrapreneurs d’aujourd’hui sont les ambassadeurs de demain. Lorsqu’ils reprendront leurs fonctions dans RISK ils seront riches de nouvelles méthodes et porteront auprès des équipes une dynamique d’innovation et d’intrapreneuriat. À cet égard, il est indispensable que le management de RISK à tous les niveaux intègre ce besoin, soutienne les initiatives intrapreneuriales et capitalise sur les connaissances acquises. C’est une condition nécessaire pour enclencher un cercle vertueux d’innovation partout dans le monde.
Quelle est votre vision de l’entreprise de demain ?
Je crois que le grand enjeu pour la banque en général, et pour la fonction RISK en particulier, est d’attirer et de conserver les talents. Les générations Y et les millennials ont, plus qu’aucune autre génération, besoin de trouver du sens.
Pour répondre à ces attentes, il est indispensable de transformer nos méthodes, de prendre le virage des nouvelles technologies, mais aussi de s’engager collectivement dans un pacte social et environnemental (CSR).
BNP Paribas est en totale adéquation avec cette philosophie. Quant à notre Fonction, ce n’est pas un hasard si dans notre plan à 2020 (RISK 2020), l’innovation fait figure d’enjeu prioritaire. Des expériences comme Innovation Booster contribuent à modifier les méthodologies de travail, à remodeler la culture des équipes et à répondre aux attentes des collaborateurs. Sur tous ces sujets, nous avons l’ambition d’être un leader dans l’industrie bancaire.
le grand enjeu pour la banque est d’attirer et de conserver les talents. Pour répondre à ces attentes, il est indispensable de transformer nos méthodes, de prendre le virage des nouvelles technologies
Quels sont vos prochains défis ?
2017 était l’année de démarrage. Il s’agissait d’insuffler quelque chose de nouveau. Sur ce plan, on peut dire que ce fut pleinement réussi. L’incubateur a fait énormément pour propulser RISK au niveau des meilleures dynamiques d’innovation au sein du groupe BNP Paribas. Pour un département aux lourdes responsabilités et fortement régulé, nous avons démontré qu’il était possible d’être agile, en mouvement et innovant. Nous avons d’ailleurs reçu le Prix de l’Innovation décerné par les collaborateurs de BNP Paribas pour une nouvelle solution de reporting de risque dans les activités de marché.
2018 devrait être au moins aussi riche. On aura d’abord la mise en production des 3 produits issus de l’incubateur. Les idées vont devenir des réalisations concrètes ! D’autres initiatives sont en cours de préparation dans RISK: une Global Innovation Week à l’échelle du Groupe, des learning expeditions ainsi que plusieurs hackathons.
L’objectif est de maintenir la dynamique actuelle en multipliant les connections et les rencontres.
Pour 2018, l’objectif est de maintenir la dynamique actuelle en multipliant les connections et les rencontres.
Et si vous aviez, vous, un projet que vous auriez aimé défendre ?
Mon sujet de prédilection aujourd’hui ce sont les « signaux faibles », des signaux qui n’ont pas de sens clair lorsqu’ils sont pris individuellement, qui n’ont pas forcément de liens entre eux, et qui, comme leur nom l’indique, n’ont pas une forte visibilité. Et en même temps, ils sont annonciateurs de problèmes plus vastes, dans de multiples domaines : risque opérationnel, fraudes, cybersécurité, traitement des flux. Je suis persuadé que les technologies d’Intelligence Artificielle pourront à terme améliorer grandement les techniques de détection et d’exploitation de ces signaux faibles. À mon sens, c’est un sujet qui nous concerne au premier plan et qui a beaucoup d’avenir.
Un projet qui vous a bluffé à titre personnel ?
Évidemment, les 3 projets sélectionnés m’ont bluffé (cf. article 1)! Parmi ces 3 projets, 2 sont plutôt à vocation interne. Le troisième pourrait aussi être déployé à plus grande échelle. Ce dernier consiste à développer un outil de scoring amélioré, avec des données sociales. L’outil permet ainsi d’intégrer dans l’évaluation d’un profil financier, des éléments issus des médias sociaux. Bien entendu, dans le cadre du respect de la vie privée, et avec l’objectif unique d’améliorer de façon pertinente l’appréciation des dossiers traités. Ce type d’outils pourrait permettre d’accorder des prêts à des profils qui en seraient théoriquement exclus sur la base unique des données financières classiques. Ce qui m’a impressionné c’est le taux d’adhésion que nous avons observé. Partout dans le monde, nous avons observé un intérêt fort auprès des cibles interrogées.