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Dans le tourbillon des tarifs douaniers américains

Isabelle Mateos y Lago
Isabelle Mateos y Lago
Cheffe Economiste Groupe
Publié le 18.04.2025

Les premiers mois du second mandat de Donald Trump ont porté l'incertitude sur la politique économique à des sommets historiques. Quelques certitudes et convictions se dégagent toutefois.

Les droits de douane américains vont perdurer, à un niveau record depuis plusieurs décennies

Isabelle Mateos y Lago, Cheffe Economiste Groupe - La politique tarifaire américaine a été particulièrement volatile ces dernières semaines. Il est probable qu'elle le restera au cours des prochains trimestres, au fur et à mesure que les tarifs bilatéraux seront négociés à la baisse, que des exemptions seront accordées, et des tarifs sectoriels supplémentaires mis en place. À l'heure où ces lignes sont écrites, le tarif extérieur moyen des États-Unis est autour de 25 %. Une fois la politique tarifaire stabilisée, on peut espérer qu'il sera plus bas. 

Mais il est peu probable qu'il soit significativement inférieur à 15 %, c'est-à-dire plus de cinq fois plus élevé qu'en début d'année et son plus haut niveau depuis la signature du GATT en 1947. En effet, parmi les multiples raisons invoquées par l'administration Trump pour justifier ces droits de douane, deux sont permanentes, c'est-à-dire non négociables : générer des recettes pour le Trésor afin de financer les réductions d'impôts ; parvenir à l'autosuffisance dans la production de biens essentiels à la souveraineté nationale, à savoir – pour le Président Trump – les automobiles, l'acier, l'aluminium et peut-être le cuivre, les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs.

Ces droits de douane pénaliseront l'économie américaine à la fois à court et à long terme

À court terme, le tourbillon et les mouvements de yo-yo sur les droits de douane provoquent un important choc d'incertitude qui a fortement entamé la confiance des consommateurs et des entreprises. Ils constitueront également la plus forte augmentation d'impôts depuis des décennies. Ils augmenteront les prix suffisamment pour empêcher la Réserve fédérale d'assouplir sa politique jusqu'à ce que le chômage remonte significativement. À plus long terme, les entreprises américaines seront confrontées à des prix d'intrants plus élevés que leurs homologues étrangers, ce qui nuira à leur compétitivité. Et les entreprises qui sont protégées de la concurrence mondiale sur le marché intérieur deviendront moins efficaces. La croissance de la productivité américaine s'en ressentira. Les consommateurs américains auront moins de choix et un niveau de vie plus bas que sans les tarifs.

À plus long terme, les entreprises américaines seront confrontées à des prix d'intrants plus élevés que leurs homologues étrangers, ce qui nuira à leur compétitivité.

Les droits de douane américains constituent un choc désinflationniste important pour l'économie mondiale

Pendant un certain temps, un débat a eu lieu, notamment en Europe, sur la question de savoir si les droits de douane américains seraient inflationnistes ou désinflationnistes. Les arguments en faveur d'une issue inflationniste étaient que les droits de douane imposés en représailles augmenteraient le coût des biens importés et que l'affaiblissement des taux de change (la réaction classique aux droits de douane) ferait de même. En réalité, la plupart des taux de change se sont renforcés par rapport au dollar. Et la plupart des pays ont jusqu'à présent décidé de ne pas riposter par des droits de douane : beaucoup ont déjà proposé aux États-Unis d'abaisser leurs droits de douane, et deux d'entre eux — Israël et le Royaume-Uni — les ont déjà supprimés. La Chine, pour sa part, a riposté en imposant des droits de douane si élevés que ses importations en provenance des États-Unis vont se réduire comme peau de chagrin. Dans le même temps, l'impact désinflationniste voire déflationniste devrait jouer à plein : la demande mondiale devrait reculer du fait de la baisse des importations américaines et de l’impact négatif qu’une incertitude élevée durable produit sur la consommation et l'investissement dans le monde entier. Les prix de l'énergie se sont déjà considérablement affaiblis en réaction (reflétant également une augmentation à contretemps de la production de l'OPEP+). Et le monde se prépare à un tsunami de produits chinois bradés après avoir de facto perdu l'accès au marché américain.

Une profonde restructuration du système commercial et financier mondial est en marche, mais la mondialisation perdurera

Pour le meilleur ou pour le pire, les États-Unis ont été, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la clé de voûte de l'ordre économique et financier mondial. Ils semblent maintenant avoir décidé de renoncer à ce rôle, au moins partiellement. Plus précisément, l'intention semble être de conserver les éléments de l'ancien ordre qui sont jugés pratiques, tout en abandonnant ceux qui ne le sont pas — une approche appelée "cakeism", abréviation de "eating your cake and having it" (manger son gâteau et l'avoir) pendant les négociations du Brexit. Ce que les États-Unis aimeraient conserver : la capacité de puiser sans limites dans les marchés de capitaux mondiaux pour financer leur dette publique ; le fait de détenir la monnaie dominante pour le commerce international ; et le fait d'être un nœud central des transactions financières internationales, ce qui donne à la législation américaine une portée extraterritoriale potentielle. Les aspects moins bienvenus sont, du point de vue de l’administration Trump : l'ouverture aux importations mondiales (parfois à des conditions favorables pour aider les pays pauvres à accélérer leur développement), et un taux de change trop élevé pour équilibrer la balance courante, en raison de la demande de dollars américains de la part des gestionnaires de réserves de change du monde entier.

Malheureusement, l'histoire suggère que ces caractéristiques font partie d'un tout, qui comprend généralement aussi une domination géopolitique amicale (voir l'œuvre de Barry Eichengreen, Sterling's Past and the Dollar's Future, Avril 2025). Par conséquent, comme le reconnaît l'un des conseillers économiques de l'administration Trump, « la possibilité de changements politiques monumentaux, qui n'arrivent qu'une fois toutes les quelques décennies, devrait accroître considérablement les attentes en matière de volatilité [...] et pourrait donner un coup d’accélérateur aux efforts de ceux qui cherchent à minimiser leur exposition aux États-Unis » (voir Stephen Miran, A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System, Novembre 2024). C'est déjà le cas, comme en témoigne le fait que la semaine dernière (7-11 avril), le dollar américain et les obligations du Trésor à long terme n'ont pas joué leur rôle traditionnel de valeur refuge au milieu des turbulences des marchés boursiers et ont, au contraire, été vendus comme des actifs à risque. Pendant ce temps, les pays du monde entier redoublent d’efforts autour de nouvelles négociations commerciales pour abaisser les barrières commerciales entre eux.

L'Europe est la mieux placée pour surmonter le choc

L'Europe a de solides atouts à faire valoir dans ses négociations commerciales avec les États-Unis, notamment le fait qu'elle est un grand marché pour les exportations américaines de biens, mais surtout de services. Elle est également le plus grand pourvoyeur d'investissements directs étrangers aux États-Unis. En tant que deuxième marché de consommation au monde, elle a beaucoup à gagner dans les nombreuses négociations commerciales qu'elle entame avec ses partenaires commerciaux existants et nouveaux. Plus fondamentalement, l'Europe dispose d'une marge de manœuvre assez grande en matière de politique monétaire et budgétaire pour atténuer l'impact des vents contraires et pour stimuler sa demande intérieure, et être ainsi moins vulnérable à un affaiblissement probable du commerce mondial à court terme. Elle dispose également d'une feuille de route claire pour stimuler les investissements (dans la défense, les infrastructures, la transition énergétique, la numérisation, etc.), dont les besoins ont été estimés à près de 1 000 milliards d'euros par an jusqu'à la fin de la décennie, ce qui stimulera sensiblement la croissance, et ce de manière permanente. Enfin et surtout, elle dispose d'un cadre d'élaboration des politiques économiques stable et prévisible, ancré dans l'État de droit. Aucune autre économie au monde n'est en mesure d'offrir une telle combinaison de qualités. Cela devrait la rendre particulièrement attractive pour les investisseurs mondiaux, ce qui, à son tour, facilitera le financement de ses investissements et de ses ambitions de croissance.

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