Accompagner le boom de la nutricosmétique en gardant son ancrage local
Rencontre avec Fleur Phelipeau, fondatrice et CEO de D-Lab Nutricosmetics
Vous avez démarré votre business de compléments alimentaires il y a 15 ans, tout juste diplômée et avec une mise de fonds minimale. Un pari risqué ?
Fleur Phelipeau : Avec le recul, très certainement ! Mais dès la fin de mes études à HEC, j’ai eu envie de monter ma propre structure pour répondre à un besoin viscéral : celui d’œuvrer moi-même sur le terrain pour développer mes idées. Et depuis mon enfance, j’étais convaincue que le marché du complément alimentaire, jusque-là cantonné aux rayons des pharmacies offrait de formidables opportunités dans la beauté et le bien-être. Mes parents possédaient la compagnie de Vichy, dédiée au tourisme thermal autour de la marque d’eau minérale Vichy Célestins, dont les bénéfices sur la peau sont réputés. J’ai donc été bercée par l’idée que la beauté vient d’abord de l’intérieur.
En 2010, j’ai décidé d’investir le marché du « cosmétique qui se mange » en créant D-Lab Nutricosmetics, un simple prêt étudiant en poche. Cette stratégie entièrement basée sur l’autofinancement a nécessité une bonne dose de patience et de détermination. Mais elle a fini par porter ses fruits : D-Lab Nutricosmetics, c’est aujourd’hui plus de 200 produits distribués en spas, instituts et parfumerie sélective, pour un chiffre d’affaires consolidé de 10 M€. Nous continuons d’afficher une croissance régulière de 20 à 35 % par an, ce qui n’est pas si courant pour une PME, d’autant que je détiens toujours la totalité du capital. Et la part de l’export, 30 % du CA actuellement, ne cesse de croître. Notre objectif est d’ailleurs de devenir un acteur majeur de la nutri-cosmétique au niveau mondial.
En 2022, nouvelle étape avec la construction d’une usine de 2 700 m2 dans l’Allier. Avec quelle(s) idée(s) en tête ?
Fleur Phelipeau : Cela fait plusieurs années que nous souhaitions verticaliser nos activités pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur. L’une des premières étapes de cette stratégie consistait à disposer de notre propre site de fabrication, d’où l’ouverture d’une première usine au sein du Naturopôle Nutrition Santé de Saint-Bonnet-de-Rochefort, dans l’Allier. Nous souhaitons désormais aller encore plus loin dans l’innovation et l’amélioration de la qualité de nos gammes en produisant nous-mêmes les ingrédients de base. Objectif : élaborer des poudres de plantes ultraconcentrées en principes actifs avec une traçabilité garantie et une excellente stabilité phytochimique. A cet effet, nous avons lancé un programme de R&D labellisé France 2030 pour son potentiel innovant !
Cette nouvelle étape de notre développement nécessite la construction d’une deuxième usine, pour laquelle nous bénéficions du soutien de plusieurs partenaires bancaires, parmi lesquels BNP Paribas. Là encore, le choix de Saint-Bonnet-de-Rochefort s’est fait tout naturellement. D’une part je suis très attachée à mon terroir d’origine, mais surtout je crois à l’intelligence collective qui découle du circuit court : qu’il s’agisse des liens humains ou de la sûreté et de la traçabilité de l’approvisionnement, tout est plus simple et plus efficace. D’autant que nous avons la chance d’être implantés sur un Naturopôle, ce qui nous permet de mutualiser les ressources avec d’autres entreprises dans un souci constant du respect de l’environnement.
En novembre 2024, vous avez été lauréate du French Women Entrepreneurs 40 dans la catégorie PME. Que représente pour vous cette distinction ?
Fleur Phelipeau : C’est une magnifique reconnaissance. Je suis fière que notre modèle atypique de « PME startup » soit valorisé, d’autant que cette récompense intervient au moment où nous changeons radicalement de métier en passant à la production et où je réfléchis à la fois à la manière de consolider le groupe et d’accélérer à l’international. C’est une chance de pouvoir bénéficier de la force d’un réseau pour répondre à tous ces nouveaux challenges. Sans compter qu’à l’occasion de la remise des prix, j’ai pu nouer des liens très enrichissants avec d’autres lauréates !
D-LAB Nutricosmetics : industrie nutricosmétique, à Saint Bonnet de Rochefort (Allier, France)
Année de création
Effectif (fin 2024)
CA consolidé
Révolutionner la lutte contre le cancer grâce aux microalgues
Rencontre avec Muriel Bardor, fondatrice et CEO de Alga Biologics
Comment une enseignante-chercheuse se retrouve-t-elle à la tête d’une deeptech parmi les plus prometteuses de son secteur, sélectionnée pour faire partie de l'index French Blue Tech ?
Muriel Bardor : Mon parcours de dirigeante est effectivement atypique. Pour ne rien vous cacher, j’éprouve parfois le fameux « syndrome de l’imposteur » ! Tout a commencé en 2011 dans le laboratoire de recherche GlycoMEV de l’Université de Rouen Normandie, au sein de laquelle j’étais Professeure puis directrice-adjointe. Dans le cadre de mes travaux de recherche, j’ai découvert avec mon équipe les incroyables propriétés d’une espèce de microalgue, capable de produire des protéines à la structure très proche de celle des protéines humaines. En utilisant ces organismes aquatiques comme de véritables « usines cellulaires », nous avons réussi à leur faire synthétiser des anticorps à visée thérapeutique, c’est-à-dire capables de soigner des maladies.
Ces résultats particulièrement prometteurs nous ont conduits à déposer trois brevets internationaux. Nous avons ensuite entrepris des discussions avec des groupes pharmaceutiques qui se sont montrés convaincus par le très fort potentiel de notre technologie, à condition de pouvoir en faire la démonstration à l’échelle industrielle. C’est ainsi qu’avec Catherine Gallot, qui occupe la fonction de directrice générale, j’ai fondé Alga Biologics fin 2021.
Un véritable virage, mais qui illustre parfaitement la notion de deeptech, à savoir l’exploitation au niveau industriel de travaux de recherche académique à vocation disruptive.
Quels sont les débouchés possibles de cette technologie ?
Muriel Bardor : Ils sont considérables ! Le neuroblastome, une forme de cancer pédiatrique, est notre première cible, mais nous envisageons également des applications dans la production d’anticorps à visée diagnostic et utilisables dans le traitement d’autres cancers, maladies auto immunes et infectieuses voire pour la santé animale. Surtout, l’utilisation des microalgues présente de multiples avantages par rapport aux traitements déjà existants à base de cellules de mammifères : le procédé est plus sûr et beaucoup moins onéreux, puisqu’il n’est pas nécessaire de maintenir les cellules à température corporelle et que le milieu de culture est simplement constitué d’eau de mer enrichie de quelques oligoéléments. Les coûts sont ainsi réduits de 70 %, ce qui devrait permettre de rendre ces traitements accessibles à de nombreux patients. Aujourd’hui, toutes pathologies confondues, seuls 5 % de la population mondiale a accès aux thérapies innovantes en raison de leur prix. En Europe, par exemple, une seule dose injectable de traitement du neuroblastome coûte environ 9 000 €.
Le passage à l’échelle industrielle d’un tel procédé est forcément gourmand en capitaux, d’autant qu’il s’envisage sur une échelle de temps assez longue. Comment faire face à cette double contrainte ?
Muriel Bardor : Effectivement, développer un médicament est un processus qui s’étale sur près de 10 ans. Dans le cas de notre société, il nous faut aussi mettre en place le procédé à l’échelle industrielle, ce qui est également capitalistique. Au démarrage, outre les capitaux propres apportés par les associés fondateurs, nous avons eu la chance d’obtenir une bourse French Tech Emergence de la BPI, ce qui nous a permis de recruter notre premier salarié. Ensuite, l’obtention rapide du label France 2030 et du label DEEPTECH via Bpifrance nous a fait bénéficier de financements supplémentaires. En complément, nous avons réalisé une première levée de fonds auprès de business angels spécialisés dans la santé, de banques et de fonds d’investissement.
Nous envisageons aujourd’hui de passer à l’échelle supérieure en effectuant une nouvelle levée de fonds de 12 millions d’euros pour accélérer notre développement, en passant d’une capacité de production en bioréacteur de 2 000 litres contre 200 actuellement. C’est d’autant plus nécessaire que des équipes internationales marchent déjà sur nos traces ! Mais nous explorons en parallèle des opportunités commerciales dans les domaines de la cosmétique ou et du diagnostic, qui ne relèvent pas de la réglementation pharmaceutique et qui devraient nous permettre d’engranger des revenus à plus court terme. Nous avons amorcé des discussions avec des partenaires étrangers pour commencer à s’implanter à l’international.
ALGA BIOLOGICS : Bio Tech / HealthTech, à Canteleu (Région Normandie, France)
Année de création
Le premier CA de Alga Biologics est attendu pour 2025
Salariés
(Effectif fin 2024)
Le French Women Entrepreneurs 40
Le FWE40 est le 1er palmarès dédié aux 40 entreprises françaises en développement dirigées par des femmes, de la startup à l’ETI. Placé sous le haut patronage du Ministère de l’Économie et des Finances, il a été cofondé par BNP Paribas et le Women’s Forum, en partenariat avec Bpifrance, SISTA, HEC Paris, Be a boss et Carbone 4.
Networking, formations, visibilité médiatique, évaluation des performances RSE, participation à des événements clés…
Les 40 lauréates ont intégré le « Club FWE40 » au sein duquel elles bénéficient, pendant un an, d’un accompagnement dédié offert par chacun des partenaires. BNP Paribas leur proposera notamment des conseils personnalisés sur les questions de financement, des moments de networking et le renforcement de leur visibilité sur ses canaux dont la page LinkedIn #ConnectHers.