Un cratère de 3,6km : l'occasion d'étudier le climat sur un million d'années !
Pour remonter le film de la Terre sur plusieurs centaines de milliers d’années, on se sert généralement des carottes de glace ou de sédiments marins. Dans quelques rares cas, il existe des sédiments lacustres permettant de remonter les climats passés des régions tempérées. Mais sous les tropiques de l’hémisphère sud, aucun enregistrement continental n’a jusqu’alors permis de reconstituer les climats sur de telles échelles de temps. D’où l’intérêt de ce site exceptionnel : la dépression de Colônia, au Brésil, une étrange cuvette de 300 mètres de profondeur, aux allures d’un gigantesque cratère. Les géologues n’ont pas encore pu déterminer l’origine précise de cette formation, mais l’hypothèse d’un impact météorique semble privilégiée. Une chose est sûre : cette dépression a accumulé des sédiments durant plusieurs centaines de milliers d’années, offrant ainsi une opportunité unique de remonter loin dans le temps.
Depuis 2000, Marie-Pierre Ledru, chercheuse à l’Institut des Sciences de l’évolution de Montpellier (UM/CNRS/IRD/EPHE), effectue des analyses et des prélèvements sur ce site. Un carottage de 14 mètres de profondeur, effectué en 2014, a ainsi permis d’analyser les changements hydrologiques, la variabilité des températures ou encore de la biodiversité au cours des derniers 250 000 ans. Mais cette spécialiste des forêts tropicales veut aller encore plus loin : carotter jusqu’à 50 mètres de profondeur afin d’étudier les derniers 800 000 ans, ce qui permettrait d’inclure la succession de plusieurs cycles glaciaires/interglaciaires.
“ Le cratère de Colônia constitue une opportunité unique d’explorer la variabilité climatique passée de la forêt tropicale brésilienne. En réalisant un carottage au coeur de cette structure géologique, nous espérons notamment répondre à cette question qui nous taraude depuis plusieurs décennies : pourquoi les forêts tropicales sont-elles si riches en espèces ? ”
Institut des Sciences de l’évolution de Montpellier (UM/CNRS/IRD/EPHE)
Une fenêtre inédite sur le passé
« Il n’existe encore aucune analyse en continu sur un million d'années dans les régions tropicales de l’hémisphère sud », développe Marie-Pierre Ledru. Cette carotte permettra donc, pour la première fois, de comprendre comment une forêt tropicale, en l’occurrence la forêt atlantique brésilienne, a réagi aux grands cycles climatiques naturels.
L’extraction de la carotte est prévue pour l’été 2017. Elle sera dans un premier temps datée précisément afin de définir le cadre chronologique qui permettra d’identifier les différents cycles climatiques. Puis elle sera découpée et échantillonnée afin que plusieurs spécialistes puissent y mener différentes analyses : des analyses paléomagnétiques, géochimiques (carbone, gaz, éléments traces, isotopes), minéralogiques (sédiments) et biologiques (pollen, diatomée).
Il n’existe encore aucune analyse en continu sur 800 000 ans dans les régions tropicales de l’hémisphère sud.
Au total, onze laboratoires issus de 5 pays (France, Allemagne, Brésil,Suisse et Royaume-Uni) participeront à ces analyses. Outre les données sur les concentrations en CO2, sur les températures ou encore sur la pluviométrie, ces analyses permettront également de connaître les variations de l’insolation et aussi, les variations en termes d’assemblage d’espèces floristiques, via l’analyse des pollens.
La clé d'une riche biodiversité ?
« L’une de nos hypothèse est que la riche biodiversité des forêts tropicales provient d’un réassemblage permanent des espèces au cours des grands cycles climatiques. Ce réassemblage répondrait avant tout aux modifications de l’insolation plutôt qu’aux cycles glaciaires/interglaciaires », précise Marie-Pierre Ledru. Les chercheurs s’attendent donc à trouver des associations d’espèces qui évoluent chaque fois en fonction des cycles de l’insolation (également appelés cycles de Milankovitch). Par comparaison, les forêts tempérées montrent quant à elles une répétition de leurs assemblages floristiques d’un cycle glaciaire ou interglaciaire à l’autre.
Par ailleurs, ce projet vise également à comparer ces enregistrements in situ aux résultats des différents modèles du climat. Parviennent-ils à retracer correctement les évolutions de cette forêt à partir des équations mathématiques ? Cette confrontation permettra au final d’améliorer la fiabilité des modèles de reconstruction du climat, passé comme futur, dans les régions tropicales.