Le changement climatique s’accélère, malgré la feuille de route entérinée en 2015 dans le cadre des Accords de Paris. Le réchauffement planétaire se précise à raison de 3 à 5°, bien au-delà du seuil des 2° fixés par la COP 21. Rien qu’en France, la température atmosphérique a gagné 2,7° au cours de l’année 2018. Le coût humain du phénomène est connu. A la charnière du XXIe siècle, l’ONU table sur une migration climatique estimée à un milliard d’individus. Quelques décennies plus loin, la population mondiale se réduirait au même nombre, selon certaines projections, compte tenu de la superficie croissante de régions inhabitables voire non-viables. Ce tableau alarmiste doit-il décourager ? La solution, ou la parade, se trouverait sous nos pieds comme l’explique la chercheure de l’IRD Tiphaine Chevallier.
Capteurs et régulateurs
Les sols et l’agriculture ont été longtemps les grands oubliés des négociations internationales sur le climat.
La quantité de carbone stocké dans le premier mètre d’un sol cultivable équivaut déjà au double de son volume contenu dans l’atmosphère. Les sols cultivés représentent un huitième de surface planétaire et constituerait la planche de salut, sachant que 20 à 35 % des émissions produites par l’homme chaque année sont stockées dans les sols. Une planche de salut oui… même si, comme le répète la chercheure, le premier objectif de l’homme doit être de limiter ses émissions de gaz à effet de serre.
« Les sols présentent une grande diversité de texture et d’activité biologique », souligne Tiphaine Chevallier. « Ils n’en restent pas moins le soutien de notre alimentation. Ils produisent également des fibres. Ils jouent, enfin, un rôle majeur dans la régulation de l’eau et des gaz à effet de serre. Sans leur présence, tous ces services fondamentaux seraient perdus. » Comme le décrit la pédologie, autrement dit l’étude qui leur est dédiée, les sols sont composés pour moitié d’air et d’eau et d’une proportion presque équivalente de matières minérales. Dans leurs interstices, et principalement en surface, se nichent environ 5 % d’organismes vivants. C’est dans la conjonction de ces composants que s’effectue la stabilisation du carbone dans les sols. « Le CO2 atmosphérique est capté par les végétaux grâce à la photosynthèse, les végétaux se décomposent ensuite dans les sols. Les bactéries, protozoaires et champignons qu’il recèle contribuent à cette décomposition et contribuent ainsi à stabiliser le carbone dans les sols à leur tour. C’est cette matière organique décomposée qui constitue le stock du carbone du sol », précise Tiphaine Chevallier. « Plus un sol est argileux et plus il fixe du carbone. La densité maximale de carbone se concentre dans les 20 à 30 premiers centimètres, même si le carbone est aussi en profondeur, tout cela dépend du type de sol. »
Biomasse optimisée
C’est donc là, dans cette couche stratégique que pourrait être renforcé le stockage salvateur. « Il faut rappeler que les sols émettent eux aussi des gaz à effet de serre », rappelle Tiphaine Chevallier. « Il est néanmoins possible de favoriser la production de biomasse et ainsi d’augmenter le volume de carbone stocké, autrement dit faire en sorte qu’il y ait plus d’entrée que de sortie. » Par quels moyens ? Une agriculture responsable est ici appelée à jouer un rôle déterminant et c’est tout l’objet du projet SoCa, mené par une vingtaine de chercheurs et de jeunes chercheurs en thèse ou en formation dans quatre pays africains (Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire et Madagascar) que de la caractériser dans un contexte d’agriculture familiale et d’en quantifier les bilans carbone.
Ce modèle agricole a pour nom l’agroforesterie. Son principe tient dans la coexistence des plantations arboricoles, génératrices de biomasse, et des traditionnelles cultures annuelles. En ménageant les sols, cette alternative aux cultures tous azimuts renforce leur capacité d’absorption. Tiphaine Chevallier cite en exemples les palmiers déployés à même les champs de manioc au Bénin, les bananiers poussant dans les cacaoyères de Côte d’Ivoire ou encore les girofliers associés à du riz pluvial à Madagascar, où les sols sont connus pour leur forte teneur en argile.
« L’agroforesterie permet de stocker du carbone dans les sols mais aussi dans la biomasse des arbres (les troncs, les branches et les racines). A Madagascar, les premiers résultats montrent un stockage de près de 2 à 4 tonnes de carbone à l’hectare et par an selon la densité des arbres dans la parcelle », fait valoir la spécialiste. « La matière organique permet d’agréger les matières minérales et de limiter l’érosion. » Des sols mieux préservés font aussi l’affaire des agriculteurs concernés, pour qui l’agroforesterie est synonyme de diversification de leurs cultures et ainsi de leurs revenus, conciliant préservation de l’environnement et rentabilité.
L’agroforesterie permet de stocker du carbone dans les sols mais aussi dans la biomasse des arbres (les troncs, les branches et les racines).
Se félicitant de l’adhésion constatée auprès des agriculteurs africains côtoyés dans le cadre du projet SoCa, Tiphaine Chevallier n’en relève pas moins les difficultés. « La matière organique se produit lentement et ne peut donc pas servir d’engrais immédiatement. » Le recours à la jachère permettrait à des sols très sollicités de se reposer, mais elle demeure peu pratiquée en raison de la pression économique exercée sur les acteurs locaux. « Enfin, le potentiel de stockage n’est pas non plus infini », rappelle la spécialiste avec raison. Il en va des sols comme des ressources. Pour assurer son devenir, l’humanité doit rester engagée sur les impératifs qu’elle s’est fixée dans le domaine climatique.
Photos Climate & Biodiversity Initiative / Projet Soca / Cameroun - Bénin ©Hermione Koussihou