Il y a des trésors dans toutes les terres...
Le sol est longtemps resté le grand oublié des négociations internationales sur le climat. Pourtant, il représente un élément central du débat. Grâce aux plantes et aux organismes vivants, le sol représente en effet le plus gros réservoir de carbone terrestre. On estime à 1500 Gt la quantité de carbone stockée sous forme de matière organique dans le premier mètre du sol, soit environ le double de ce que contient l’atmosphère. Chaque année, il stocke 2-3 Gt de carbone contribuant ainsi à une absorption de 20-35 % des émissions anthropiques. Ne pourrait-on pas augmenter cette capacité de stockage pour contrebalancer la totalité des émissions anthropiques ?Tel est l’objectif de l’initiative internationale « 4 pour mille », lancée en 2015 lors de la COP21 par la France. L’idée est la suivante : si l’on augmentait chaque année de 0,4% (4 pour 1000) la quantité de carbone dans les 30 à 40 premiers centimètres des sols, on pourrait compenser l’augmentation annuelle de la concentration en CO2 atmosphérique due aux émissions anthropiques de 4,3 Gt C/an. Autrement dit, une augmentation, même infime, du stock de carbone dans les sols représente un levier majeur dans l’objectif de limiter la hausse des températures du globe.
Mais l’objectif de cette initiative ne s’arrête pas là. Qui dit plus de carbone dans le sol, dit plus de matière organique bénéfique pour la fertilité des sols et donc meilleure productivité agricole. Ainsi, augmenter la quantité de carbone dans le sol permet également de contribuer à la sécurité alimentaire dans le monde. Ce concept gagnant-gagnant est devenu l’un des sujets majeurs des dernières conférences internationales sur le climat. L’initiative « 4 pour mille : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat » est désormais signée par plus de 200 membres, dont 37 pays.
“ Il y a encore quelques années, on ne parlait jamais des sols dans les réunions internationales sur le climat. Nous souhaitons à travers ce projet contribuer à mettre l’agriculture familiale et le sol au centre du débat. ”
(UMR Eco&Sols - Montpellier SupAgro/CIRAD/INRA/IRD)
Un service méconnu
Toutefois, la séquestration du carbone dans le sol dépend de nombreux facteurs dont le climat local, le type de sol, l’occupation et la gestion du sol. Autant de facteurs peu étudiés. « On connaît encore très mal l’influence de ces facteurs sur la capacité d’un sol à séquestrer durablement le carbone, explique Lydie Lardy (UMR Eco&Sols - Montpellier SupAgro/CIRAD/INRA/IRD). Notamment dans les systèmes agricoles familiaux tropicaux alors même que l’enjeu de la sécurité alimentaire et l’adaptation au réchauffement climatique sont là plus importants qu’ailleurs ». D’où ce projet de recherche SoCa (pour Soil Carbon), coordonné par l’IRD avec de nombreux partenaires nationaux et internationaux (CIRAD, INRA, Université Abomey Calavi, IRAD (lien inactif), CNRA, Université d’Antananarivo, ICRAF, IITA).
Le premier objectif de cette étude est de dresser un état des lieux complet et précis des flux et des stocks de carbone des sols de plusieurs dizaines de parcelles agricoles de 0,5 à 1 ha issues de quatre pays : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et Madagascar. « Ces exploitations agricoles possèdent différents types de sol, les pratiques culturales ne sont pas les mêmes, leurs contextes socio-économiques diffèrents et elles sont situées selon un gradient Nord/Sud qui permettra aussi d’analyser l’influence du climat », précise Lydie Lardy, coordinatrice du projet.
Parallèlement aux actions de recherche sur les processus impliqués dans le potentiel et la dynamique de séquestration du carbone, l’impact de ces processus sur la disponibilité des nutriments tels que l’azote et le phosphore indispensables à la croissance des plantes sera aussi étudié. Quels rôles jouent les différents facteurs dans la séquestration du carbone ? Quels impacts pour la production agricole ? Enfin, la comparaison de ces différentes exploitations permettra in fine de hiérarchiser les facteurs qui entrent en jeu et de proposer des indicateurs adaptés au contexte local afin d’améliorer localement les pratiques agricoles.
Un projet gagnant-gagnant
L’une des composantes clés de ce projet réside dans le partenariat tissé avec les pays du Sud. Avec une vingtaine de chercheurs de France et d’Afrique, 25 étudiants africains mais aussi des agriculteurs sont impliqués dans cette recherche. Ils seront formés à apprécier le bilan carbone des terres agricoles de leur pays et seront sensibilisés aux différents leviers d’action pour non seulement contribuer à leur sécurité alimentaire mais aussi participer à la lutte contre le réchauffement climatique.« Cette interaction avec les acteurs locaux permettra que les recommandations de bonnes pratiques culturales soient mieux acceptées par les paysans concernés », estime Lydie Lardy. Parmi ces bonnes pratiques, celles déjà connues sont l’introduction de cultures intermédiaires, la restitution de résidus de culture ou l’apport d’amendement organique au sol, une gestion de l’eau appropriée, les techniques de non-travail du sol ou encore le développement de l’agroforesterie.