À environ quatre heures de vol au nord de Montréal, sur la côte est de la baie d'Hudson et à l'extérieur de la petite communauté inuite d'Umuijaq, au Québec, la mission chargée d'étudier la fonte du pergélisol dans la région et son impact sur les dérèglements climatiques est bien installée. L'équipe scientifique du laboratoire Takuvik, une initiative commune entre l'Université Laval à Québec et le Centre National de la Recherche Scientifique français (CNRS), avec le soutien de la Fondation BNP Paribas mène un projet intitulé : « Accélération du dégel du pergélisol (en anglais APT) par des interactions entre la végétation et la neige ».
Le phénomène du dégel du pergélisol est encore peu compris à l’heure actuelle et n’est pas correctement pris en compte dans les modèles climatiques utilisés pour évaluer le changement climatique. Nous avons vécu un séjour très instructif auprès de chercheurs et d'une équipe de production de RFI et de la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris chargée de documenter le projet dans la vallée proche du plus grand parc national du Québec, Tursujuq.
Nouvelles de l'expédition
À notre arrivée à Umiujaq, nous avons rencontré Florent Domine, du laboratoire Takuvik, et Denis Sarrazin, du Centre d’études nordiques, qui nous ont guidés en dehors de la ville, vers la vallée pittoresque qui sert de base au projet APT. Nous sommes entrés dans cette magnifique vallée, délimitée de chaque côté par des « cuestas » ( grandes chaînes de couches de roche basaltique), qui s'étendent jusqu’à la pointe du lac Tasiujaq. La flore, qui va de la forêt boréale de conifères à la toundra d’arbustes arctiques, abrite tout un mélange coloré de baies sauvages, champignons, lichens et mousses. Nous avons eu le plaisir d’apercevoir la faune native de la région, et notamment ces bœufs musqués (bisons arctiques).
Parmi les autres espèces locales, on trouve des oiseaux comme les faucons, les aigles, les éperviers, les oies et les canards. Les phoques, les bélugas, les saumons et les ombles chevaliers peuplent l’eau, tandis que les caribous, les élans et les ours parcourent la terre. Après notre brève rencontre avec ces créatures, nous avons poursuivi notre route dans la vallée, là où les chercheurs prennent des mesures avec toute une série d’instruments élaborés, financés par la Fondation BNP Paribas.
L’équipe de chercheurs collecte des données pour mieux comprendre les modèles climatiques et leur impact sur les couches de pergélisol, environ deux à trois mètres en-dessous du sol dans la vallée d’Umiujaq. Les mesures prises tout au long de l’année portent sur la température, la pression barométrique, la vitesse du vent, la microturbulence, les niveaux d’eau et de CO2 dans l’atmosphère et l’enneigement.
Dans la vallée, le pergélisol fondu a créé des mares de thermokarst qui sont critiques dans le changement climatique en libérant du méthane et du CO2 autrefois emprisonné dans le pergélisol gelé. Ce phénomène est important pour la communauté inuite d’Umiujaq qui doit déterminer une stratégie prudente dans des projets de construction et de développement des logements dans le respect de ces conditions. La route qui relie l’aéroport et le village a été renforcée suite à un effondrement partiel des couches fondues de pergélisol.
Le deuxième jour de notre séjour, une partie de l’équipe de chercheurs a pris un bateau vers le nord, en direction des chutes de Nastapoka, et a posé des sondes dans la baie d’Hudson pour analyser la température du fond de la baie et déterminer s’il est gelé. Les autres membres de l’équipe sont retournés dans la vallée pour effectuer des travaux d’entretien sur certains des instruments analytiques, et remplacer notamment un capteur sur un appareil qui mesure l’enneigement. Les scientifiques placent des clous autour des instruments les plus bas pour que les ours ne détruisent pas le matériel.
Cet après-midi-là, toute l’équipe s’est réunie pour forer sur trois mètres de profondeur de sol et de sable afin d’obtenir des échantillons de pergélisol, composés d’un mélange de minéraux, sédiments, poussières et glace. Nous avons eu le plaisir de voir que le pergélisol contenait une grande quantité de glace sur ce site. La terre entourant le trou est devenue souple et irrégulière et l’équipe scientifique a retiré les carottes de pergélisol et des échantillons de lichen se trouvant autour du trou pour analyser ses propriétés chimiques.
Le lendemain, l’équipe s'est rendue à l’école d’Umiujaq pour montrer aux étudiants et aux professeurs les carottes de pergélisol et leur expliquer le but de la mission scientifique.
Pour finir notre séjour, nous sommes montés à bord d’un hélicoptère qui nous a conduits jusqu’à un site intéressant au-delà des « cuestas », avec une large concentration de mares de thermokarst, prouvant encore une fois l’impact du dégel du pergélisol dans la région et la façon dont il change radicalement le paysage.
Ce soir-là, l’aurore boréale nous a offert un spectacle de lumières vertes dans le ciel d’Umiujaq.
Dans la vallée du pergélisol
Alors que le rythme de la mission APT est donné par les diverses opérations menées par les équipes scientifiques, les journalistes, Yseult Berger et Simon Roze, avec l’aide des professionnels du son Xavier Gibert et Yann Bourdelas, documentent la vie quotidienne à Umiujaq et les travaux des chercheurs dans la magnifique vallée qui entoure la communauté.Les photographies et les interviews figurant dans le livre de bord des journalistes nous emmènent dans les coulisses de la mission : le déploiement des instruments, les mesures et les analyses des échantillons sur le terrain et en laboratoire, et l’impact ultime du dégel du pergélisol sur la région et au-delà.
Photos ©John Dansdill / Sylvain Taboni