• Mécénat

L’océan, cet allié méconnu

Benoît Hervieu
Benoît Hervieu
Journaliste Usbek & Rica

Le réchauffement planétaire atteindrait des seuils encore plus alarmants sans l’interface des eaux océaniques, comme le rappelle Sabrina Speich, professeur de géosciences à l’Ecole Normale Supérieure et coordinatrice du projet Southern Ocean Climate (SOCLIM), soutenu par la Fondation BNP Paribas. Intervenante de la conférence Climate Initiative du 6 juin 2017 à l’Institut océanographique de Paris, la scientifique n’en souligne pas moins l’importance de préserver ce précieux bouclier.

Son territoire couvre les deux tiers de la surface de la planète. Pourtant, ses dynamiques internes demeurent largement ignorées et l’on parle souvent de lui au pluriel, comme pour conjurer sa puissance. Pacifique, Atlantique ou Indien, l’océan constitue pourtant une seule et même entité. Bien que divisées en plusieurs bassins, ses eaux sont connectées et tiennent un rôle majeur dans notre système climatique. Face au réchauffement global qui hante aujourd’hui les consciences, l’océan fait office d’amortisseur, sinon de protecteur.

Capteur principal de l’énergie solaire, l’eau des océans transforme la source lumineuse en chaleur, dont une partie est ramenée par les courants vers les latitudes polaires. Bien qu’une part de cette chaleur soit dilapidée par les vents, l’océan en retient une importante quantité. C’est également lui qui absorbe le surplus d’énergie lié à l’émission de gaz à effet de serre. Sans l’océan, donc, le réchauffement climatique serait autrement plus important. Un indice souligne son utilité : 93 % de la chaleur anthropique accumulée depuis cinquante ans sont contenus dans ses fonds. A lui seul, l’océan recueille un quart du dioxyde de carbone (CO2) injecté par l’homme. 

Sans l’océan, le réchauffement climatique serait autrement plus important.

Réchauffement et menaces en profondeur

De fait, la masse océanique n’échappe pas à l’effet du réchauffement global, qui génère en son sein de la dilatation thermique. Le phénomène, loin d’être homogène sous toutes les eaux, contribue néanmoins à hauteur de 30 % à l’élévation des niveaux marins (dont 40 % sont liés en parallèle à la fonte des glaces). 

Sous l’effet de la concentration accrue de CO2, il favorise surtout l’acidité de l’eau et la diminution des réserves d’oxygène dans les profondeurs, avec des conséquences directes sur des écosystèmes déjà malmenés par des activités de pêche qui surexploitent plus de 30 % des espèces marines. Tandis que la barrière de corail se meurt, les micro-plastiques et autres matières polluantes reviennent à la surface sous l’effet des courants.

L’amortisseur océanique tiendra-t-il longtemps à l’épreuve de la main humaine ?

L’amortisseur océanique tiendra-t-il longtemps à l’épreuve de la main humaine ? La question est désormais posée. Loin de se limiter à une élévation des températures, le changement climatique se vérifie également par l’augmentation de précipitations extrêmes, très souvent liées à la libération de surplus d’eau. De quoi nourrir les craintes de cyclones ou de tempêtes à l’avenir plus intenses, sinon plus fréquents. Or, en l’état des connaissances, bien des données manquent aux spécialistes de l’océan pour diagnostiquer le futur.

Les balises du futur

De nouveaux courants surgissent. La quantité de ceux portant vers l’Arctique se modifie. Quelles seront demain les incidences de ces dynamiques nouvelles sur l’océan et sa participation au système climatique ? L’exploration n’en est qu’à ses débuts et réclame des moyens. Pionnier en son genre, le programme Argo, soutenu par la Fondation BNP Paribas et inauguré en 2013, tente de mettre au jour les mécanismes des courants marins. En octobre 2016, dans le cadre du projet SOCLIM, une campagne de prospection a été menée dans l’océan austral.
LES FUSÉES ARGO ONT DÉJÀ PERMIS DE DÉCOUVRIR DE NOUVEAUX COURANTS PROPAGATEURS DE CO2 ET DE CHALEUR.

Des robots de pointe – les fameuses balises Argo en forme de fusées jaunes – ont été déployés dans ce territoire peu visité et livré à de très forts courants. Plongées à 1 000 mètres sous le niveau de la mer, les balises atteignent tous les dix jours les 2 000 mètres de profondeur. C’est dans ce même délai que remontent régulièrement des informations dont le traitement estimé devrait prendre cinq ans. Pour autant, les fusées Argo ont déjà permis de découvrir de nouveaux courants propagateurs de CO2 et de chaleur, ainsi que des cycles saisonniers inconnus jusqu’alors.

L’effort est à poursuivre mais les campagnes de prospection coûtent cher, à raison de 35 à 40 000 euros pour l’affrètement quotidien d’un bateau. Ce tarif justifierait pour une part les réticences de gouvernements à s’engager. Il y a pourtant urgence. Au-delà de la mobilisation scientifique, la balle est bien dans le camp des Etats et des sociétés pour infléchir les mauvaises tendances, les ravages au sein des écosystèmes affectent aussi des populations entières.  

Allié méconnu, l’océan accèdera peut-être à la reconnaissance qui lui est due sous le double effet des découvertes et de la sensibilisation accrue aux dérèglements climatiques. Son sort est enfin débattu à l’ONU. Les réactions internationales au désengagement américain de l’Accord de Paris sur le climat constituent un autre signal encourageant. Si les connaissances susceptibles de soutenir cette prise de conscience sont encore incomplètes, chacun sait qu’il ne suffira pas de verser du fer pour nourrir le plancton ou déverser de la chaux pour réduire les températures.

L’océan est notre allié et si nous sommes sûrs qu'il absorbe une grande partie du CO2 émis, nous tentons encore de comprendre son fonctionnement et ainsi d'anticiper ses capacités à réguler le climat.

Sabrina Speich

Professeur de Géosciences à l'ENS de Paris et spécialisée dans la compréhension de la dynamique des océans et leur influence sur les changements climatiques, Sabrina Speich est une experte reconnue mondialement dans la modélisation des océans et l’organisation d’observations in-situ de grande ampleur. Elle est pionnière dans l’utilisation des flotteurs Argo pour l’observation des océans.

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