Le tube mesure un mètre cinquante de long pour 9 centimètres de diamètre. Son intérieur contient des dépôts et sédiments multimillénaires. Leur analyse mettra au jour des connaissances inédites sur ce patrimoine encore mal connu que constituent les forêts tropicales. Les échantillons renfermés dans les tubes proviennent des « carottes », ou prélèvements effectués par les chercheurs du projet TROPICOL au sein du cratère de Colônia, voisin de São Paulo, au cœur de la forêt Atlantique brésilienne riche de 6 000 espèces endémiques, dont 450 d’arbres.
Le creuset d’archives naturelles se présente sous la forme d’un cratère de 3,6 kilomètres, sans doute un impact de météorite, dont le lac intérieur s’est comblé de sédiments au fil des périodes glaciaires et interglaciaires. « Cette matière donne lieu depuis quinze ans à des études sur l’histoire de l’environnement et de la forêt tropicale », a rappelé Marie-Pierre Ledru, directrice de recherche à l’IRD(1) et pilote du projet TROPICOL lors de la conférence Climate Initiative du 7 juin 2018.
Cette matière donne lieu depuis quinze ans à des études sur l’histoire de l’environnement et de la forêt tropicale.
« Les premiers prélèvements effectués en 2000 portaient sur 7 mètres de profondeur. » Depuis le lancement de TROPICOL en 2017, les scientifiques ont réussi à obtenir deux « carottes » de 50 mètres et revu leurs hypothèses de travail.
« Au début, nous estimions à 800 000 ans la longévité de ces sédiments », poursuit Marie-Pierre Ledru. « Nous tablons aujourd’hui sur 1,5 million d’années. » Les moyens de datation s’enrichissent. Le radiocarbone ou le carbone 14 ne suffisant plus pour ces échelles de temps, des procédés tels que la luminescence sur les grains de quartz, le paléomagnétisme(2) et, surtout, l’analyse d’indicateurs géochimiques et biologiques (pollens, micro-charbons, algues et micro-algues) permettent notamment de comprendre comment la flore et la faune s’adaptent aux changements d’ères glaciaires et interglaciaires dans cet espace particulier. « Nos connaissances des forêts tempérées ne s’appliquent pas aux forêts tropicales », précise Marie-Pierre Ledru. « A la différence des premières, la forêt tropicale a toujours été là pendant les époques glaciaires, seuls les arbres qui la constituaient ont changé, ce qui pourrait expliquer l’extrême richesse de leur biodiversité. »
Reconstitution possible, volonté politique espérée
Cette biodiversité a un prix, lourdement payé à l’extension des monocultures intensives et désormais, à la menace globale de réchauffement climatique. Comment la forêt tropicale du Brésil, nourrie sur le double effet des moussons sud-américaines et des fronts polaires, feront-elles face à la modification attendue de la superficie des calottes glaciaires et du cycle hydrologique qui en découlera? Au jour d’aujourd’hui, il ne reste que 7 % de la forêt Atlantique brésilienne d’origine, dont les sédiments durablement conservés par l’humidité font une véritable mine scientifique.
A raison de 4°C de réchauffement climatique, 80 % des espèces abritées par les forêts tropicales sont promises à disparaître.
La reconstitution forestière d’un tel espace prendrait, dans les délais les plus rapides sur certaines zones, de 70 à 100 ans. La fragmentation du domaine forestier sous l’effet de l’urbanisation galopante de la région rend pour l’heure impossible cette perspective. « A raison de 4°C de réchauffement climatique, 80 % des espèces abritées par les forêts tropicales sont promises à disparaître », avertit Marie-Pierre Ledru. Pire, « et même sans changement climatique, l’espace demeure condamné par la déforestation. L’agrobusiness tropical fragmente et supprime la forêt sans lui permettre de se régénérer dans le futur».
L’effort scientifique, écologique et politique pourrait pourtant permettre de restituer l’écosystème. Le célèbre photographe brésilien Sebastião Salgado en a montré la possibilité en reboisant les environs de la propriété de ses parents en une dizaine d’années seulement. Dans ce sillage, Marie-Pierre Ledru recommande la création de couloirs entre fragments forestiers à même de susciter la recomposition de l’ensemble. « La forêt peut se maintenir. Elle a bien survécu à 10 000 ans d’intervention de la main humaine », assure la scientifique qui bataille déjà pour la protection du site de Colônia. Encore faut-il qu’à cette main humaine s’ajoute la tout aussi humaine volonté politique, faite de pédagogie et de projection. Sans quoi, un trésor scientifique se perdrait en même temps qu’un héritage naturel.
(1) – Institut de recherche pour le développement
(2) – C’est-à-dire l’étude des enregistrements du champ magnétique terrestre
Photos © Moises Saman | Magnum Photos