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Changement climatique : quel impact sur la survie des récifs coralliens ?

Benoît Hervieu
Benoît Hervieu
Journaliste Usbek & Rica

Dans le cadre de son programme Climate Initiative et à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, le 5 juin 2017, la Fondation BNP Paribas a réuni à Londres les chercheurs Joanna Haigh, de l’Imperial College, et Nick Graham, du Lancaster Environment Centre. Leur expertise a permis de mesurer l’ampleur du réchauffement climatique et son impact sur la survie des récifs coralliens.

Intervention de Nick Graham

Les récifs coralliens ne sont pas forcément connus du grand public. Ils sont construits par des animaux, autrement dit les coraux eux-mêmes sont des animaux, des petits polypes qui grandissent en colonies constituées de centaines d’animaux coralliens. Ces colonies se distinguent par la diversité de leurs couleurs et de leurs structures. Elles représentent une base alimentaire pour des populations entières dans les régions tropicales et nourrissent aussi une importante activité économique comme le tourisme. 

Malheureusement, le changement climatique affecte cet environnement. L’une des traces les plus visibles de cet impact est le blanchiment corallien. Un corail en bonne santé se caractérise par la relation symbiotique entre les animaux coralliens et les algues, logées dans leurs tissus, qui les nourrissent. L’énergie du corail, qui lui donne sa couleur brillante, passe par la photosynthèse. Mais il s’agit d’un équilibre délicat. Quand le corail est affecté, cette relation se délite. L’animal corallien rejette les algues qui ne peuvent donc plus lui fournir son énergie et sa couleur. Une fois que l’algue a été éjectée du tissu de l’animal corallien, celui-ci devient translucide d’où l’effet de blanchiment. Le « stress » corallien est en grande partie lié à la chaleur. Le corail se développe sous un seuil de tolérance thermique étroit. Il suffit que la température gagne 1°C pour qu’il blanchisse. Sans les algues qui le nourrissent, le corail ne peut survivre au-delà de cinq ou six semaines et meurt d’affamement. 

Un ennemi thermique nommé El Niño

Le blanchiment corallien a gagné du terrain au cours des dernières années. Ses effets sont ravageurs et se vérifient sur un délai court, comme en témoigne ce cliché pris au même endroit d’un récif en vie en décembre 2014, devenu blanc deux mois plus tard et mort en août 2015. Les médias ont beaucoup évoqué le sort de la Grande Barrière de corail mais elle n’est pas la seule à avoir subi ces vagues de blanchiment. Nombre de pays de l’Océan Pacifique ont perdu 80 % voire davantage de leurs coraux.

Le blanchiment corallien est à la fois lié au réchauffement et aux variations de température. D’un côté, la température océanique augmente graduellement au fil des années mais s’ajoutent à ce phénomène des effets de réchauffement momentanés et extrêmement forts, dont l’un des plus répandus est El Niño

Ce type d’événement apparaît notamment lorsque l’eau chaude se concentre à l’Est et au centre de l’Océan Pacifique. El Niño est appelé à modifier les modèles climatiques à travers le monde. La sécheresse qui affecte certaines parties de l’Amazonie entraîne des feux de forêts. Ailleurs, on assiste à des pluies diluviennes comme au Pérou. Certaines eaux connaissent de réelles hausses de température comme en mer des Caraïbes ou dans 

El Niño est appelé à modifier les modèles climatiques à travers le monde.

l’Océan Indien. Ainsi, l’effet El Niño s’est superposé à l’accroissement graduel des températures océaniques, favorisant le blanchiment du corail dont l’observation à grande échelle est relativement récente. C’est à partir de 1983 que l’on commence à constater le phénomène, et c’est en 1998 que l’on relève un blanchiment corallien d’ampleur dans les Tropiques, lié à un moment El Niño de grande intensité. On estime que 16 % de la vie corallienne s’est éteinte au cours de cette seule année, avec un impact marqué dans la partie ouest de l’Océan Indien, qui a alors perdu 50 % de son corail. A cette même époque, les Seychelles ont vu mourir plus de 90 % du corail de leurs eaux territoriales. Le récif y a été presqu’entièrement dévasté. 

La résilience variable des récifs

L’extinction du récif corallien a, bien sûr, des conséquences sur les écosystèmes. Le corail est un lieu d’habitat privilégié pour de nombreux poissons, qui peuvent s’y regrouper et survivre tant qu’il demeure intact. Aux Seychelles, on estime que la moitié des espèces de poissons présentes dans les eaux ont disparu avec l’extinction du corail. Les poissons les plus vulnérables appartiennent évidemment aux espèces corallivores, autrement dit celles qui se nourrissent de corail, même si l’extinction corallienne n’affecte pas aux mêmes degrés les spécimens. Il est établi que, dans les eaux seychelloises, quatre espèces de poissons hautement dépendant au corail ont récemment disparu

A la suite de la grande vague de blanchiment corallien de 1998, un monitoring de l’état de 21 récifs de corail est effectué tous les trois ans aux Seychelles depuis 2005. Il s’agit de voir si le corail se reconstitue à terme, ou si s’établit un nouvel écosystème. Nous constatons que pousse bien souvent de « l’herbe de mer » autrement dit de grosses algues qui ne permettent pas au corail de reprendre vie. Pour autant, parmi les 21 récifs observés, 12 ont recouvré leur structure au cours des quinze dernières années.

Aujourd’hui, le récif corallien couvre moins d’un quart de la surface océanique totale.

Cinq facteurs permettent d’expliquer ces différences : les nutriments présents dans les eaux ; la biomasse herbivore ; la rugosité du récif ; la profondeur du récif ; et la densité du corail juvénile. Ces cinq facteurs permettent de déterminer - à 98 % - pourquoi et comment le corail se reconstitue ou non. Il y a donc un espoir de voir du corail se reconstituer, mais il est à craindre que le phénomène du blanchiment corallien devienne de plus en plus fréquent du fait du réchauffement global, ne laissant qu’un temps très court aux récifs pour reprendre forme et vie. 

Aujourd’hui, le récif corallien couvre moins d’un quart de la surface océanique totale. Il représente néanmoins 33 % de la biodiversité marine. Il est également un garant de sécurité alimentaire pour des millions de personnes. En matière de nutrition ou de contribution aux progrès médicaux, l’apport de cet héritage naturel est estimé aujourd’hui à 350 000 dollars par hectare et par an. C’est pourquoi il est capital de le préserver. Son avenir dépend, en partie, de notre volonté de respecter l’Accord de Paris. Dans le cas contraire, des surfaces importantes de corail cesseront d’exister. 

Nick Graham

Nick Graham est chercheur au Lancaster Environment Center. Membre de la Royal Society, il étudie l’impact du réchauffement climatique sur la survie des récifs coralliens. Il a évalué les impacts du blanchiment des coraux induit par le climat sur les assemblages de poissons de corail, la pêche et la stabilité de l'écosystème. 

© Photo: Cameron Laird

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