Nous avons interrogé des femmes gestionnaires d’actifs de finance durable, afin de connaître leur avis sur les raisons d'une plus grande mixité du secteur par rapport à celui de la finance traditionnelle.
Dans cet article, nous vous livrons leurs points de vue sur l’avenir dans ce secteur qui suscite un intérêt croissant, du fait de son influence grandissante et des perspectives de carrière qu'il offre, et également de par l’essor des emplois associés liées à la technologie et aux données.
La finance durable sera-t-elle un catalyseur de mixité hommes-femmes ?
Parmi les femmes que nous avons interrogées, certaines sont convaincues que le monde de la finance durable, dans lequel le rapport hommes-femmes tend à l’équilibre, montrera l’exemple pour donner plus de place aux femmes et au développement durable dans le secteur financier tout entier. D’autres craignent toutefois que la finance durable ne devienne la seule option pour les femmes qui souhaitent évoluer professionnellement dans la finance.
« NOUS DEVONS VEILLER À CE QUE LES FEMMES NE SE RETROUVENT PAS AU FINAL UNIQUEMENT DANS LA FINANCE DURABLE. NOUS AVONS BESOIN DE FEMMES DANS LE SECTEUR FINANCIER AU SENS LARGE. JE PENSE QUE CELA NOUS AIDERA ÉGALEMENT À FAIRE ENTRER LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS TOUS LES DOMAINES DE LA FINANCE. »
Jane Ambachtsheer, Global Head of Sustainability, BNP Paribas Asset Management
L’intérêt grandissant pour la finance durable s’accompagne d’une augmentation de la demande d’emploi dans ce secteur. Nous avons donc décidé de nous intéresser de plus près aux conséquences de cette tendance, ainsi qu’aux profils qui seront recherchés dans les prochaines années.
Dans un sens comme dans l’autre, les compétences STEM pourraient modifier la parité hommes-femmes dans la finance durable
Alors que l’on voit une augmentation des objectifs basés sur des données scientifiques intégrés aux solutions durables, les compétences STEM (sciences, technologie, ingénieries et mathématiques) sont de plus en plus recherchées pour les métiers de la finance durable. Or, il s’agit de disciplines traditionnellement masculines, ce qui modifie déjà l’équilibre hommes-femmes au sein du secteur.
Une personne interviewée a ainsi noté que les
hommes étaient plus nombreux à gérer les aspects plus scientifiques de l’ESG, tandis
que les femmes étaient plus nombreuses à s’occuper des questions sociales.
Pourrait-on l’expliquer par le fait que dans le monde, seulement 3 % des étudiants qui s’inscrivent dans des filières TIC (technologies de l’information et de la communication) sont des femmes, 5 % dans la filière mathématiques et statistiques, et 8 % dans la filière ingénierie, industries de transformation et production selon le Forum économique mondial
Cette tendance fait craindre l’apparition d’un double obstacle pour les femmes qui souhaitent effectuer leur carrière dans le secteur : les femmes auraient à combler l’écart entre les sexes dans l’enseignement des STEM avant d’être confrontées de nouveau au même écart dans le monde professionnel. Néanmoins, la balance pourrait aussi pencher de l’autre côté, ce qui inciterait davantage de femmes à s'orienter vers les filières STEM pour travailler ensuite dans la finance durable.
« IL Y A TOUJOURS EU UN DÉSÉQUILIBRE HOMMES-FEMMES DANS L’UNIVERS DES STEM, MAIS L’ALLIER AU DÉVELOPPEMENT DURABLE POURRAIT PERMETTRE UN MEILLEUR ÉQUILIBRE ENTRE LES GENRES DANS LE MILIEU DE LA TECHNOLOGIE. »
Delphine Queniart, Responsable de Finance et Solutions durables pour Global Markets chez BNP Paribas
Alors que notre étude avait pour principal objectif de mener une réflexion sur la place des femmes dans les métiers de la finance durable, la discussion sur le lien entre le genre et les compétences développées nous a conduits à réfléchir plus largement sur l’impact que la finance durable a sur les femmes.
La finance durable peut-elle contribuer à l’émergence d’une parité hommes-femmes dans la finance ?
Les personnes que nous avons interrogées s’accordent toutes à dire que les avancées en matière de finance durable ont jusqu’à présent surtout porté sur des questions plus environnementales que sociales. Mais la recherche montre également que s’attaquer aux enjeux environnementaux pouvait aussi avoir un impact positif, direct ou indirect, sur les questions sociales : il existe de vraies interdépendances entre le climat et les inégalités liées au genre.
Traiter les questions climatiques, c’est aussi aborder les questions de genre.
« Les enjeux climatiques ont des implications sociales très larges. Quand vous pensez au Bangladesh qui est inondé chaque année, une forte proportion des victimes sont des femmes, parce qu’elles restent à la maison… Traiter les questions climatiques, c’est aussi aborder les questions de genre. »
Salima Lamdouar, Fixed Income, VP/Sustainable Strategies, Alliance Bernstein
LES FEMMES REPRÉSENTENT 74 % DES EMPRUNTEURS EN MICROFINANCE.
DEPUIS PLUS DE 30 ANS, BNP PARIBAS A AIDÉ, AVEC LA MICROFINANCE, PLUS DE 1,8 MILLION DE FEMMES À TRAVERS LE MONDE.
Les groupes les plus pauvres et défavorisés ont tendance à dépendre de moyens de subsistance sensibles au climat (par ex. l’agriculture), ce qui les rend beaucoup plus vulnérables au changement climatique, d’après un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (source) . Étant donné que les femmes gagnent entre 30 et 80 % de ce que gagnent les hommes annuellement, elles sont plus susceptibles d’être confrontées à la pauvreté et par conséquent aux risques liés au changement climatique.
Nous devons simultanément nous atteler aux problèmes environnementaux et sociaux, car ils s’alimentent mutuellement.
« À l’avenir, les questions sociales continueront de revêtir une importance accrue. Or, il faudra toujours commencer par s’occuper des "questions écologiques". J’espère que les gens se rendent compte qu’il existe des interdépendances. Nous devons simultanément nous atteler aux problèmes environnementaux et sociaux, car ils s’alimentent mutuellement. »
Marie Fromaget, Analyste ESG, AXA Investment Managers
Lutter contre les fausses idées sur l’inégalité entre les sexes
Dans les produits de finance durable, l’égalité hommes-femmes n’est pas un critère aussi facile à suivre et mesurer que ceux liés à l’environnement. Par conséquent, les résultats liés à cette thématique risquent d’être négligés du fait des difficultés à les évaluer ou quantifier.
« L'intégration des facteurs sociaux dans les modèles d'entreprise progresse.
Y compris sur le sujet de l'égalité entre les sexes où l’on constate une augmentation du reporting sur l’équilibre entre les sexes au sein des instances de direction.
Néanmoins, pour créer un environnement prospère à long terme pour toutes les parties prenantes, les entreprises devraient mettre en place les bonnes politiques, couvrant par exemple l'égalité des chances de développement, les lois contre le harcèlement et la non-discrimination.
La structure de ces politiques reste très différente selon les acteurs du marché, ce qui rend difficile l’évaluation de leurs effets. »
Jovita Razauskaite, gestionnaire de portefeuille Green Bonds, Specialized Fixed Income, NN Investment Partnerspour créer un environnement prospère à long terme pour toutes les parties prenantes, les entreprises devraient mettre en place les bonnes politiques ...
La finance durable, un levier efficace pour la parité
À ce jour, il existe peu d’exemples d’instruments financiers incorporant des KPI sociaux tels que l’égalité hommes-femmes.
De récentes opérations ont pourtant montré que la finance durable pouvait constituer un levier efficace pour faire avancer la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes :
La première obligation convertible liée au développement durable au monde, émise par Schneider Electric en novembre 2020, incluait un indicateur clé de performance (KPI) spécifiquement lié à l’accroissement de la diversité femme-homme : 50 % de femmes à l’embauche, 40 % de femmes managers juniors et intermédiaires, et 30 % de femmes dans les équipes de dirigeants à l’horizon 2025.
En février 2021, le Groupe Carlyle émettait son premier Sustainability Linked Loan uniquement lié à la diversité au sein du conseil d’administration. Carlyle a retenu ce KPI sur la base d’une analyse poussée de son portefeuille qui a révélé que le bénéfice des sociétés qui le composaient ayant un conseil d’administration mixte était en moyenne 12 % supérieur à celui des autres sociétés. Par ailleurs, une étude de l’université de Harvard corrobore cette analyse en démontrant la corrélation positive entre la mixité et la performance. En effet, les groupes mixtes ont de meilleurs résultats en termes de chiffre d’affaires et de bénéfices.
Voter pour faire bouger
Certains investisseurs essayent de faire bouger les choses de manière plus directe, par le biais de politiques de vote par exemple.
« Une exigence de base de notre politique de vote est que les conseils d’administration doivent compter 30 % de femmes dans les marchés développés et 15 % dans les marchés émergents. Le signal envoyé aux sociétés et à leur conseil d'admistration est clair : nous n’approuvons pas les sociétés qui ne sont pas en mesure d’afficher un minimum de mixité au niveau du conseil d’administration. »
Jane Ambachtsheer, Responsable Sustainability, BNP Paribas Asset Management
Le signal envoyé aux sociétés et à leur conseil est clair : nous n’approuvons pas les sociétés qui ne sont pas en mesure d’afficher un minimum de mixité au niveau du conseil d’administration.
Un autre exemple nous vient d’Asie où d’importants hedge funds recherchent la diversité, dans leurs équipes et dans leurs portefeuilles d’investissement, conscients de l’importance de la mixité hommes-femmes.
Les organisations supranationales interviennent également dans ce domaine et sont soucieuses d’encourager la mixité hommes-femmes dans les pays émergents où les problèmes liés au changement climatique et à l’égalité des sexes vont souvent de pair.
« Lorsque vous financez de nombreuses organisations supranationales, comme la Banque mondiale, l’IFC ou l’ADB, une partie importante des fonds est allouée à des projets de développement avec une thématique de genre. C’est un élément qui est donc très étroitement lié à la finance durable. »
La parité: une priorité pour une démarche durable
Essentiellement axé sur les questions environnementales, la finance durable en vient progressivement à traiter indirectement et directement de la question de l’égalité hommes-femmes.
Alors qu’une transformation est à l’œuvre dans le monde du travail, nous constatons également une évolution dans les effets plus étendus de la finance durable : les problèmes environnementaux étant étroitement liés au destin des femmes, l’égalité hommes-femmes devient peu à peu une priorité que les entreprises et les institutions cherchent à intégrer dans leur démarche durable.
*Article traduit depuis : The future of women in sustainable finance