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Perspectives économiques dans les marchés émergents

Christine Peltier
Christine Peltier
Responsable adjointe risque-pays, économiste Chine et Vietnam
Publié le 24.03.2021

Des facteurs positifs en début d’année

Dans les pays émergents, le rebond économique qui a suivi le choc de l’épidémie de Covid-19 a commencé au cours du printemps ou de l’été dernier, puis s’est renforcé au T4 2020, en réponse à l’assouplissement des restrictions de mobilité, à l’ajustement progressif de l’activité aux moindres interactions physiques et au soutien des politiques publiques. La Chine, première entrée, première sortie de la crise, a ouvert la voie. Plus généralement, les économies industrialisées d’Asie ont bénéficié du net redressement des exportations à partir du T2 2020, tiré par une demande dynamique de biens technologiques. La performance des exportations s’est également améliorée en Europe centrale au S2, mais elle a continué à stagner en Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient. Ces dernières régions ont néanmoins récemment commencé à bénéficier de la hausse des prix des matières premières. Concernant la demande intérieure, la consommation privée a, en général, connu le redressement le plus rapide tandis que l’investissement a progressé plus lentement, excepté en Chine.

Les marchés émergents ont également bénéficié du rebond spectaculaire des flux d’investissement de portefeuille étrangers au T4 2020, notamment porté par les flux de capitaux vers la Chine. Cela a alimenté l’appréciation des monnaies, une flambée des cours des actions et des obligations et un assouplissement général des conditions de financement – jusqu’à la mi-février 2021. Selon nos estimations, le PIB réel des économies émergentes s’est contracté de -2,6 % en moyenne en 2020 et devrait croître de 6 % en 2021, avec des performances très inégales d’un pays à l’autre. L’activité a bénéficié d’une dynamique plus robuste que prévu sur la période fin 2020-début 2021, et les facteurs de soutien externe ont persisté (poursuite du rattrapage du commerce mondial, hausse des prix des matières premières et coûts d’emprunt domestiques plus bas qu’avant la crise sanitaire). Cependant, de nombreux risques pèsent sur les perspectives à court terme.

L’horizon n’est pas dégagé pour autant

Premièrement, l’activité économique dépendra de l’évolution de l’épidémie, de la rapidité des campagnes de vaccination et de l’assouplissement des mesures de confinement. Selon l’hypothèse retenue par le FMI dans son scénario de base, la vaccination assurera une protection efficace à l’échelle nationale dans les économies avancées et certains pays émergents au T3 2021, puis dans la majorité des pays au S2 2022. Mais les prévisions restent très incertaines à ce stade. Dans le même temps, l’impact direct de la pandémie sur l’activité pourrait diminuer grâce à l’amélioration des traitements et du traçage et à des restrictions plus ciblées.

Deuxièmement, la capacité des pouvoirs publics à soutenir l’activité devrait s’affaiblir, en particulier sur le plan budgétaire, en raison de la détérioration des finances publiques l’an dernier et étant donné la baisse des déficits attendue en 2021. Les conditions monétaires devraient rester globalement accommodantes à court terme, mais la marge d’assouplissement supplémentaire s’est réduite : les taux d’intérêt se situent déjà à des plus bas record alors que l’inflation repart à la hausse. A ce stade, la plupart des banques centrales devraient pouvoir ignorer la remontée de l’inflation puisque celle-ci est principalement tirée par les prix des matières premières. Mais certains pays pourraient avoir à modifier l’orientation de leur politique monétaire face à la hausse de l’inflation, notamment en cas de nouveaux épisodes de stress des investisseurs. Cela a déjà été le cas de la Turquie, qui a resserré sa politique monétaire depuis le mois d’août pour répondre à de fortes tensions sur sa monnaie. Et ce pourrait être bientôt le cas du Brésil. Par ailleurs, pour alléger les tensions sur les marchés obligataires domestiques tout en reportant les hausses de taux d’intérêt, certaines banques centrales pourraient recourir à de nouveaux programmes d’achat d’actifs. En 2020, dix-huit pays émergents ont mis en œuvre de tels programmes, qui sont restés d’ampleur modérée (de moins de 2 % du PIB dans la majorité des pays à 6 % en Pologne, par exemple). Ceci laisse une marge de manœuvre pour poursuivre ces programmes d’achats en 2021. Au-delà du court terme, cependant, le recours prolongé à l’assouplissement quantitatif risque d’entamer la crédibilité des banques centrales.

Troisièmement, les conditions de financement pour les emprunteurs des pays émergents pourraient rapidement se détériorer en cas de resserrement des conditions monétaires internationales et de remontée de l’aversion au risque. De fait, ce risque a commencé à se concrétiser en février, avec la baisse des entrées de capitaux étrangers et les tensions sur les rendements de la dette extérieure émergente.

Enfin, de nouveaux chocs pourraient faire dérailler la trajectoire de reprise économique d’autant plus rapidement que la crise liée à l’épidémie de Covid19 a laissé de profondes cicatrices sur les finances publiques, le secteur des entreprises et le marché du travail.

Risque souverain et risque de crédit : à surveiller

La crise l’an dernier a conduit à une augmentation du risque souverain dans les pays émergents. Certes, la détérioration des finances publiques s’explique par l’obligation des Etats de soutenir la population, confrontée à un choc économique sans précédent. Elle ne reflète pas une mauvaise gestion macroéconomique. Cependant, les événements de crédit (défauts et restructurations de dette) se multiplient, en particulier en Afrique subsaharienne, malgré les soutiens apportés par les créanciers officiels (lignes de financement d’urgence du FMI, initiative de suspension du service de la dette du G20-Club de Paris). En outre, même si leur solvabilité n’est pas en cause, certains grands pays émergents tels que le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde, sont aussi à surveiller compte tenu du lourd fardeau de leur dette et de leurs besoins de financement particulièrement élevés en 2021.

Les risques de crédit ont également augmenté au cours de l’année écoulée. Les mesures mises en œuvre en 2020 pour soutenir les entreprises et les ménages devraient être maintenues en 2021, au moins partiellement, dans le but de freiner ou différer la hausse des difficultés de paiement. Cependant, les problèmes de liquidité et de solvabilité des entreprises devraient s’aggraver lorsque les mesures de soutien seront levées. De leur côté, les banques souffrent de la hausse du coût du crédit dans un environnement de taux faibles, et leur capacité à accorder des prêts pourrait s’affaiblir. Dans de nombreux pays (en Afrique, en Amérique latine, mais aussi en Inde et en Chine), les sources de vulnérabilités se sont aggravées l’an dernier (dette élevée des entreprises, fragilités des secteurs bancaires et/ou dette publique en hausse). Les autorités pourraient tenter d’y remédier en recourant à des mesures macro-prudentielles ainsi qu’à des réformes structurelles visant à améliorer les perspectives de croissance économique.

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