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Perspectives économiques : aux Etats-Unis, une reprise vigoureuse

Jean-Luc Proutat
Jean-Luc Proutat
Economiste

Alors qu’aux États-Unis le cap dramatique des 560 000 morts de la Covid-19 a été franchi, l’accélération de la campagne vaccinale - déjà 40% de la population couverte - entretient l’espoir d’en sortir. Dans une allocution télévisée, le président Biden a fixé la date symbolique du 4 juillet, jour de fête nationale, comme celle d’un possible retour à la normale. Déjà, les indicateurs de mobilité fournis par les moteurs de recherche sur Internet s’améliorent ; avec le rebond de l’emploi (près d’un million de postes ont été créés au cours du seul mois de mars), ils confirment que, après sa baisse de régime de l’hiver 2020, le moteur de la consommation repart.

Croissance à plus de 6%

Celui-ci ne manquera pas de carburant. Adopté le 11 mars 2021 sous le nom d’American Rescue Plan Act, le gigantesque dispositif de relance de USD 1 900 milliards (9 points de PIB) voulu par l’Administration démocrate vise essentiellement les ménages, sous forme de chèques, compléments d’indemnités chômage, ou crédits d’impôts. Dire quelle sera la véritable propension des Américains à consommer plutôt qu’épargner cette manne est toujours une gageure. Toutefois, l’impulsion est telle que le taux de croissance de l’économie ne peut être que revu à la hausse. Le Fonds monétaire international (FMI) n’a pas hésité à le multiplier par deux dans ses dernières Perspectives économiques mondiales, pour le situer à 6,4% en 2021.

A ce rythme, les pertes de 2020 tout comme l’output gap, soit le déficit de production qui sépare l’économie de son potentiel, auront tôt fait d’être comblés. Dès l’automne prochain, le moteur américain se rapprocherait du plein régime. Il est en particulier raisonnable de penser qu’à cet horizon, les secteurs encore paralysés par la pandémie (hôtellerie, restauration, spectacles, etc.) fonctionneront plus normalement et auront pu réembaucher. Le retour au plein emploi serait rapide. Pour la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, il est envisageable dès 2022.

« Dès l’automne prochain, le moteur américain se rapprocherait du plein régime. »

La consommation redémarre, l'inflation aussi

La remontée du cours des matières premières aidant (le pétrole s’est renchéri de quelque 150% depuis un an, les métaux de 60%) la mise sous tension de l’économie américaine ranime les anticipations d’inflation, notamment sur les marchés où le taux des swaps indexés à dix ans est remonté (il est actuellement proche de 2,5%). Les prix à la consommation progressent, de facto, plus vite, ne serait-ce qu’en raison d’une facture énergétique et alimentaire qui s’alourdit. Ils témoignent aussi d’un effet de rattrapage. Avec des freins aux déplacements qui se relâchent, un certain nombre d’achats jusqu’ici différés reprennent. La demande des ménages pour les voyages et les biens durables (automobiles, équipements du foyer) est forte et participe au rebond des prix. À partir de mars et dans les mois suivants, lorsque les chiffres se compareront à ceux, déprimés, du printemps 2020, l’inflation se situera nettement au-dessus de l’objectif de 2% fixé par la Réserve fédérale (Fed), la barre des 3% pouvant même être atteinte. 

Le dépassement sera toutefois transitoire. Aux États-Unis comme ailleurs, les salaires et les prix sont contraints par des arbitrages mondiaux, peut-être plus encore depuis que la crise accélère la révolution digitale dans les services. Ils ne réagissent plus comme jadis aux tensions qui s’exercent sur les capacités, un phénomène connu sous le terme « d’aplatissement » de la courbe de Phillips. Déjà remarquablement stable autour de 2% durant la phase historique de recul du chômage de 2010-2020, l’inflation a finalement peu de raison d’accélérer dans la durée.

Ligne de crête

C’est l’analyse faite par le Comité de la politique monétaire qui, lors de sa dernière réunion du 17 mars, n’a pas dévié de sa ligne accommodante : maintien du taux objectif des fonds fédéraux au voisinage de zéro, poursuite au rythme de USD 120 milliards par mois des rachats nets de titres du Trésor (pour une part de USD 80 milliards) et d’Agences (pour une part de USD 40 milliards). L’expansion du bilan de la Fed, qui dépasse celle du déficit fédéral et atteint USD 3 500 milliards ou 16,5 points de PIB depuis le début de la pandémie, va donc se poursuivre.

Une telle prodigalité n’est évidemment pas sans effet sur les marchés, puisque les trillions de dollars créés en contrepartie des rachats de la Fed on fait l’objet d’un vaste recyclage, dans l’immobilier, les infrastructures, les crypto-monnaies, en Bourse, etc. A partir du 23 mars 2020, date précise d’ouverture en grand des vannes monétaires, les prix d’actifs se sont mis à monter, parfois de manière vertigineuse. Ceux des valeurs technologiques cotées au Nasdaq ont, par exemple, été multipliés par deux, ce qui ne s’était plus vu depuis le début des années 2000 et l’euphorie associée au développement d’Internet. Le cours du Bitcoin, qui dépassait 60 000 dollars au moment d’écrire ces lignes, a, quant à lui, été multiplié par dix. Face aux risques d’excès, les autorités américaines ont commencé à étoffer leur dispositif de surveillance ; mais pour prévenir le risque de rechute, elles maintiennent les perfusions. Une ligne de crête étroite.

« Face aux risques d’excès, les autorités américaines ont commencé à étoffer leur dispositif de surveillance ; mais pour prévenir le risque de rechute, elles maintiennent les perfusions. Une ligne de crête étroite.. »

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