La prise de conscience tardive d'une crise environnementale majeure
Selon un sondage commandé en 2022 par l'Office Français de la Biodiversité, 8 Français sur 10 se sentent concernés par l’état de la biodiversité, et 94% d’entre eux jugent qu’il est important, si ce n’est crucial, de se mobiliser pour la protéger et la restaurer. Ce pourcentage élevé parmi la population française se reflète également à l’échelle européenne : au sein de l'Union Européenne, 95% des personnes interrogées pensent que stopper la perte de biodiversité est essentiel dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, et nécessaire pour le développement économique à long terme.
Quel est l’état actuel de la biodiversité ?
La biodiversité disparaît à un rythme préoccupant. Ces dernières années, de nombreuses études scientifiques ont démontré l'ampleur et la rapidité de ce phénomène.
La plateforme intergouvernementale sur les politiques relatives à la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES dans son acronyme anglais) a montré en 2019 que la biodiversité disparaissait à un rythme effrayant : au moins un million d'espèces animales sont menacées d'extinction sur une planète dont les trois quarts de la surface terrestre, et les deux tiers de l’océan, ont été altérés de manière significative par l'Homme. Peu après, en 2020, le Fond Mondial pour la Nature (WWF) a montré que les populations d'animaux sauvages ont baissé de 68% depuis 1970. Il reste donc trois fois moins d'animaux sauvages sur la planète qu'en 1970, et la situation continue d'empirer. Un consensus scientifique est établi selon lequel le monde fait face à une sixième extinction de masse des espèces.
Qu’est-ce que la biodiversité ?
Selon la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), la diversité biologique, ou biodiversité, est « la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces, entre les espèces et entre les écosystèmes. »
Les écosystèmes sont « les complexes dynamiques formés de communautés de plantes, d'animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment une unité fonctionnelle. »
Pourquoi cet effondrement rapide et massif ?
D'après la communauté scientifique et les travaux de l'IPBES, les activités humaines en sont la première cause. Alors que les cinquante dernières années ont vu la population mondiale doubler, la croissance économique a permis de multiplier le PIB mondial par cinq. Le progrès technique et la croissance économique ont permis de considérablement réduire le nombre de personnes vivant sous le seuil d'extrême pauvreté. Ces progrès ont été appuyés par une progression rapide des productions agricole et industrielle et de l'urbanisation. En l'espace de 50 ans, le cheptel bovin mondial a augmenté de 50%, pour atteindre plus de 1500 milliards de têtes de bétail en 2020. La production d'acier mondiale a été multipliée par trois – on a produit en 2020 près de deux milliards de tonnes d'acier brut.
Cette croissance s'est accompagnée de nombreux impacts sur l'environnement. Nous sommes tous confrontés à la réalité du changement climatique : le réchauffement moyen de l'atmosphère a dépassé en 2021 le seuil de 1,1°C depuis l'ère préindustrielle, conduisant à la multiplication de phénomènes climatiques extrêmes. Cette crise du climat se combine avec d'autres facteurs de stress des espèces et des milieux naturels, multipliant les expressions de la crise de la biodiversité.
Quels sont les cinq principaux facteurs de perte de biodiversité ?
Selon l’IPBES et par ordre d’importance décroissante, ce sont:
- La conversion des habitats naturels sur mer et sur terre pour l'agriculture, l'urbanisation, les nouvelles infrastructures… ;
- L'exploitation directe des espèces – exploitation forestière non durable, pêche, chasse… ;
- Le changement climatique ;
- La pollution ;
- L'introduction et la propagation d'espèces exotiques envahissantes.
Comment cette crise de la biodiversité se manifeste-t-elle concrètement ?
De nombreux exemples illustrent ce phénomène. Les forêts françaises ont vu leur taux de mortalité augmenter de 80% entre 2013 et 2021 du fait de l'effet conjugué des vagues de chaleur, de la sécheresse et de l'extension des surfaces urbaines. Plus de 50% des récifs coralliens est atteint du phénomène de blanchiment en raison des vagues de chaleur marines et de la pollution.
L'agriculture et l'exploitation forestière (principalement) ont conduit au défrichage de 76,3 millions d'hectares de forêt primaire humide entre 2001 et 2023 – environ la surface de l'Australie. Plus de 14 millions de tonnes de plastiques sont déversés dans les océans chaque année, impactant directement de nombreuses espèces marines et leurs habitats. La crise de la biodiversité se manifeste de multiples manières, tant à l'échelle locale qu'au niveau mondial.
Ces conséquences économiques expliquent pourquoi la perte de biodiversité figure depuis 2020 au palmarès des facteurs de risques pour la société et l'économie, aux côtés du changement climatique et des phénomènes climatiques extrêmes, selon l'enquête réalisée annuellement par le Forum Économique Mondial auprès des décideurs politiques et les dirigeants d'entreprise. Au-delà d'un problème purement écologique, elle engendre des risques pour les acteurs de l'économie :
- Risques physiques, liés à la dépendance des chaînes de valeur vis-à-vis de la biodiversité et des services écosystémiques ;
- Risques de transition, liés aux évolutions économiques, sociétales, réglementaires et sociétales résultant de la crise de la biodiversité ;
- Risque systémique, liés à l'impact de la crise de la biodiversité sur la résilience de l'économie et de la société.
Cette typologie est cohérente avec celle des risques liés au changement climatique. On reconnaît que ces deux phénomènes sont les composantes d'une même crise écologique, qui se renforcent mutuellement.
Une action politique et institutionnelle à renforcer
En juin 1992, le Sommet de la Terre organisé par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement à Rio de Janeiro conduisait à l'adoption de plusieurs conventions, notamment la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, et la Convention sur la diversité biologique (CDB). Cette dernière reconnaissait déjà l'importance de la biodiversité pour la société, et sa dégradation du fait des activités humaines.
Une étape supérieure franchie avec la COP15
Trente ans plus tard, à la COP15 de la CDB, qui s’est tenue en décembre 2022 à Montréal, les pays signataires de la CDB reconnaissaient l'aggravation dramatique de la crise de la biodiversité et l'insuffisance de l'action pour y remédier : le budget mondial alloué à la protection et la restauration de la biodiversité est estimé à moins de 143 milliards de dollars annuels, alors que les besoins sont estimés à plus de 700 milliards de dollars par an, tandis que les investissements et subventions publiques dans des activités contribuant à la perte de biodiversité se chiffrent en milliers de milliards de dollars.
La COP15 de la Convention sur la Diversité Biologique s'est caractérisée par la participation active de coalitions d'entreprises et d'institutions financières, présentes en nombre à Montréal pour souligner l'importance de trouver une solution à la crise de la biodiversité en vue d´assurer la résilience de l'économie et de la société.
Un Cadre mondial de la biodiversité pour catalyser l'action
La COP15 s'est conclue par un accord ambitieux, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming Montréal. Ce dernier est considéré par beaucoup comme l'équivalent pour la biodiversité de l'Accord de Paris pour le climat, promouvant notamment l'objectif du « 30 par 30 » (protéger 30% des zones terrestres et marines importantes pour la biodiversité d'ici à 2030, restaurer 30% des terres dégradées, significativement réduire le risque d'extinction d'espèces), appuyé par une série de mesures concrètes, pour réaliser une vision à 2050 d'un monde où « la biodiversité sera valorisée, conservée, rétablie et utilisée avec sagesse, de manière à préserver les services écosystémiques, la santé de la planète et les avantages essentiels dont bénéficient tous les êtres humains ».
La mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité relève de deux champs d'action :
- Tous les pays signataires de la CDB se sont engagés à actualiser et publier leur Stratégie Nationale pour la Biodiversité, en vue de le transcrire en termes de politiques publiques et de réglementation, stimulant ainsi une transition écologique au niveau national et international.
- Tous les acteurs de la société, y compris les entreprises, les institutions financières, les consommateurs, sont invités à appuyer l'atteinte des cibles et objectifs via leurs choix stratégiques, commerciaux, personnels, appuyant ainsi une transformation progressive de l'économie permettant de concilier développement économique et social, protection et restauration de la biodiversité et des services écosystémiques.
Qu’est-ce que La Convention sur la Diversité Biologique ?
La CDB est une convention internationale adoptée en juin 1992 à l'issue du Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro. Elle a pour objectifs :
- la conservation de la diversité biologique ;
- l'utilisation durable de la diversité biologique ;
- le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques.
Elle compte, à ce jour, 196 Parties (195 Etats plus l'Union européenne). L'organe directeur de la Convention sur la diversité biologique est la Conférence des Parties (COP). Cette instance supérieure est composée de toutes les Parties et se réunit tous les deux ans pour examiner les progrès accomplis, établir des priorités et décider de plans de travail.
Quelle ambition pour la COP16 ?
La COP16 de la CDB est prévue dans la ville de Cali, en Colombie, en octobre 2024. On y attend des décisions concernant les mécanismes de financement devant appuyer la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité, notamment en ce qui concerne l'appui aux pays en développement, mais aussi en termes d'évolutions réglementaires, fiscales et autres pour stimuler la transition écologique des acteurs de marché au niveau national.
Cette COP16 devrait servir de forum de partage de connaissances sur les stratégies et les solutions que les entreprises et institutions financières peuvent mettre en œuvre pour réduire leur exposition aux risques et multiplier les opportunités d'investir de manière à protéger et restaurer la biodiversité.
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Camille Maclet est un expert de la Sustainability qui s'intéresse particulièrement au financement de la conservation et de la restauration de la nature. En janvier 2024, il a rejoint BNP Paribas en tant qu'Expert Biodiversité au sein de la Direction RSE du groupe.
SOURCES
- Public awareness of biodiversity in Europe | European Environment Agency's home page (europa.eu)
- La sixième extinction massive a déjà commencé | National Geographic
- Global GDP over the long run (ourworldindata.org)
- Number of cattle, 1970 to 2020 (ourworldindata.org)
- 2021 World Steel in Figures
- Four Key Climate Change Indicators Break Records in 2021
- Observatoire des forêts françaises (ign.fr)
- The World's Fourth Mass Coral Bleaching Event Is Underway—and It Could Become the Worst One Yet | Smithsonian (smithsonianmag.com)
- Global Deforestation Rates & Statistics by Country | GFW (globalforestwatch.org)
- Plastics and Biodiversity | Plastics and the Environment Series – Geneva Environment Network
- Accueil | Action mondiale en faveur des services de pollinisation pour une agriculture durable | Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (fao.org)
- A Healthy Ocean Depends on Sustainably Managed Fisheries (nature.org)
- Nature Risk Rising: Why the Crisis Engulfing Nature Matters for Business and the Economy | World Economic Forum (weforum.org)
- A “Silent Spring” for the Financial System? Exploring Biodiversity-Related Financial Risks in France | Publications (banque-france.fr)
- Combien coûtent les espèces envahissantes à l’humanité ? | CNRS