Favoriser une approche scientifique innovante et transversale
Avec la crise du Covid-19, tous les regards sont tournés vers les interactions entre changement climatique, érosion de la biodiversité et pressions accrues de l’Homme sur les écosystèmes. Mais si rien n’est fait pour mieux comprendre ces systèmes complexes, la communauté scientifique s’attend à une accélération de l’émergence de nouvelles maladies infectieuses.
Pour progresser efficacement dans la gestion des risques épidémiques mondiaux, des scientifiques développent actuellement des approches innovantes, très transversales et faisant la part belle à la participation citoyenne.
Interactions entre changement climatique et épidémies
La propagation fulgurante du virus SARS-CoV-2 sur la planète jette une lumière crue sur le lien, trop longtemps négligé, entre santé des écosystèmes, santé animale et santé humaine. La faune est une source majeure de pathogènes pour l’être humain, et l'importance sanitaire des maladies d’origine animale ne cesse de croître. Mais les voies de transmission de ces zoonoses* sont infiniment variées et rencontrent des régions plus ou moins bouleversées par le changement climatique.
Quant à la biodiversité, les chercheurs nous alertent** sur le fait que son déclin devrait nous exposer encore d’avantage aux risques infectieux.
*maladies infectieuses des animaux vertébrés transmissibles à l'être humain
**article réservé aux abonnés
L’épidémiologie environnementale
Forte de sa communauté de plus de 800 chercheurs répartis sur les 5 continents, l’IRD a créé dès le 2 avril dernier un comité composé de 8 membres (chercheurs de l’Institut et partenaires scientifiques du Sud), ayant pour mission de coordonner les actions scientifiques face à l’urgence sanitaire actuelle. Fidèles aux missions de l’IRD dont la Fondation est partenaire, ces chercheurs fournissent, en particulier en direction de plusieurs pays du Sud, un appui au diagnostic de la maladie, à la surveillance épidémiologique, et aux réponses des systèmes de santé.
Dans le cadre de leurs missions plus spécifiques, Eve Miguel et Olivier Dangles souhaitent faire profiter la communauté scientifique de leur expérience en épidémiologie environnementale, ou éco-épidémiologie (« EcoHealth » en anglais). A la croisée des chemins entre l'écologie, la médecine, l'épidémiologie et les sciences humaines, cette récente discipline cherche, à travers un travail collaboratif, des solutions innovantes, pratiques et réalistes pour limiter les impacts sanitaires des grands changements environnementaux provoqués par l’Homme.
Peut-on évaluer scientifiquement le rôle de la biodiversité dans l’émergence de nouvelles maladies infectieuses ?
Si la question apparait aujourd’hui tout à fait opportune, c’est bien parce que la crise du Covid-19 a provoqué une sorte d’électrochoc dans les consciences. Mais les moyens à mobiliser pour enquêter scientifiquement sur les effets de la biodiversité, résiliente ou précaire, dans l’émergence de nouvelles maladies infectieuses sont considérables. Surtout s’il l’on prend également en considération le réchauffement climatique et les déterminants sociaux à l’œuvre dans une région donnée. C’est justement ce genre de défi que cherche à relever Eve Miguel au Zimbabwe, au cœur d’une savane encore relativement bien préservée, où les contacts entre faune sauvage et faune domestique introduisent un fort risque épidémique. Et l’abondance des grands mammifères en Afrique a énormément décliné depuis 1970, principalement du fait du braconnage et de la déforestation.
C’est dans ce contexte que plusieurs épidémies bovines (fièvre aphteuse, tuberculose bovine ou encore brucellose) érodent la santé et l’économie du Zimbabwe depuis près de vingt ans. « Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si la biodiversité protège ou non du risque zoonotique, mais aussi des maladies animales sauvages et domestiques. Nous voulons tester les hypothèses de façon empirique, en suivant de nombreuses espèces dans le temps et dans l’espace. »
En Afrique australe, les températures augmentent plus rapidement que la moyenne mondiale
« En 15 ans, j’ai été témoin de l’aridification au Zimbabwe. Les sécheresses et les inondations sont récurrentes, les cycles saisonniers sont complètement perturbés », déplore Eve Miguel, chercheuse en Ecologie et Epidémiologie à l’IRD.
HUM-ANI : une approche transdisciplinaire
A travers une approche transdisciplinaire (épidémiologie, écologie et sociologie), l'effort massif porté par « HUM-ANI » sur le terrain devra permettre de mieux remonter la piste des infections. Les activités de recherche consisteront principalement à suivre des groupes d’animaux de plusieurs espèces grâce à des colliers GPS, pratiquer des prélèvements de salive et de fèces, ou encore installer des pièges photographiques dans la nature. Grâce à un partenariat fort avec de nombreuses institutions internationales (universités du Zimbabwe et d’Afrique du Sud, l’Université d’Oxford, l’Imperial College de Londres, les services vétérinaires et parcs nationaux du Zimbabwe) et nationales (le CIRAD et le CNRS), Eve et ses collaborateurs pourront établir le tout premier laboratoire mobile « Eco-health » afin d’inclure les populations zimbabwéennes.
Celui-ci sera spécialement aménagé pour faire de la « recherche traditionnelle » sur le terrain, mais également de la science citoyenne et de la sensibilisation scientifique auprès des populations. Il permettra de favoriser la communication entre scientifiques, gestionnaires et acteurs et réfléchir aux socio-écosystèmes de demain aux interfaces Hommes / Nature.
À terme, « HUM-ANI » devrait fournir des données scientifiques novatrices afin de paramétrer les modèles épidémiologiques et comprendre la circulation des agents pathogènes dans des systèmes multi-hôtes mais également réfléchir à la durabilité de ces socio-écosystèmes.
HUM-ANI lance une véritable innovation qui aura un fort impact et une grande portée, car les conséquences sanitaires du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité constituent des enjeux majeurs au large écho.
Généraliser les méthodes scientifiques transdisciplinaires pour trouver de nouvelles solutions
Olivier Dangles, est soutenu par la Fondation pour son projet de recherche « LIFE WITHOUT ICE » , qui étudie les conséquences de l'extinction des glaciers pour la biodiversité et les populations dans les régions tempérées et tropicales.
Quel rapport entre la cryosphère et les épidémies ?
Même si certaines zones terrestres gelées comme le pergélisol peuvent constituer de véritables réservoirs environnementaux à pathogènes, ce n’est pas du tout l’objet des recherches d’Olivier Dangles. Écologue de formation, ce spécialiste des insectes ravageurs invasifs, travaille surtout en Équateur, au Pérou et en Bolivie, dans les massifs montagneux de la cordillère des Andes. C’est justement dans ces régions tropicales et subtropicales que les glaciers d’altitude sont le plus menacés par le réchauffement climatique. Leur disparition annoncée risquant d’emporter avec elle toute la biodiversité associée, de nombreuses ressources naturelles et des pans entiers de culture humaine…Ses nombreux séjours au contact des populations andines ont véritablement conforté chez lui une approche holistique de la recherche.
Olivier Dangles mène avec l’IRD une réflexion collective à plus long terme sur la réponse de l’Institut à la crise sanitaire actuelle. En effet, Olivier interagit avec le Comité scientifique interdisciplinaire et partenarial Covid-19 de l’IRD en tant que Directeur de recherche en écologie et Directeur par intérim du Département Ecologie, biodiversité et fonctionnement des écosystèmes continentaux (ECOBIO) de l’Institut. Parce qu'elle mobilise différentes approches et méthodes transdisciplinaires tournées vers la recherche de solutions, l'analyse de cette gestion de crise devrait être riche d'enseignements et permettre à l’Institut de mieux faire face à de futures épreuves et d'anticiper le changement.
Selon Olivier Dangles, Directeur de recherche en écologie et Directeur du Département ECOBIO de l’IRD : « La crise COVID-19 est une opportunité pour réfléchir au mode de fonctionnement de nos collectifs de recherche. En ce sens, la mise en pratique des grands principes de la science de la durabilité : objectif commun, transdisciplinarité, co-construction des savoirs, est une voie prometteuse et stimulante. »
Le programme "Climate & Biodiversity initiative" de la Fondation BNP Paribas
Depuis 2010, la Fondation BNP Paribas a contribué significativement au soutien de la recherche environnementale tout en sensibilisant le grand public. Au total, 27 projets de recherche ont été financés et valorisés grâce à un budget de 18 millions d’euros au travers de son programme Climate & Biodiversity Initiative. Ce programme a déjà permis de sensibiliser plus de 400 000 personnes aux enjeux du changement climatique. Entre 2020 et 2022, la Fondation BNP Paribas va valoriser 9 projets internationaux de recherche sur la biodiversité à hauteur de 6 millions d’euros. Ces derniers portent sur des problématiques variées telles que les impacts de la fonte des glaciers sur la biodiversité mondiale, la résilience des écosystèmes côtiers face aux événements climatiques extrêmes ou encore la reforestation des écosystèmes perturbés.
L’Institut de Recherche pour le Développement (IRD France)
L'IRD est un acteur majeur de la science interdisciplinaire et citoyenne du développement, dont le modèle d’organisation repose sur un partenariat scientifique équitable avec les pays du Sud. Il collabore avec tous les acteurs internationaux présents sur des enjeux de développement durable. Les chercheurs de l’IRD et leurs partenaires scientifiques dans les pays du Sud sont fortement mobilisés contre la pandémie, au travers des actions concertées de la recherche française et internationale, sur le terrain et en soutien à la décision publique.