Le projet « HUM-ANI »
Soutenu par la Fondation BNP Paribas à travers son programme Climate & Biodiversity Initiative, ce projet cible particulièrement les Objectifs de Développement Durable (ODD) 3 « Bonne santé et Bien-être » et 15 « Vie Terrestre ».Piloté par Eve Miguel, chercheuse en écologie et épidémiologie à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), ce projet s’inscrit dans le contexte du changement climatique et d'érosion de la biodiversité. Il s’intéresse à la transmission de pathogènes entre les espèces humaines, animales sauvages ou domestiques, aux interfaces Hommes/Nature, en Afrique australe.
Est-ce que la biodiversité protège du risque zoonotique, c’est-à-dire le risque de transmission de l’animal à l’humain, mais aussi des maladies animales sauvages et domestiques ?
"On sait encore trop peu de choses de l’épidémiologie dans la faune sauvage en général…. C’est pourquoi nous voulons tester nos hypothèses de façon empirique, en suivant de nombreuses espèces dans le temps et dans l’espace mais également trouver des solutions pour une coexistence durable des Hommes avec la Nature"
Chercheuse en écologie et épidémiologie à l'IRD
L'Afrique, un continent qui concentre les risques climatiques
Le premier constat c’est que les températures augmentent plus rapidement sur le continent africain que dans le reste du monde : en Afrique australe, les saisons sèches sont de plus en plus longues et les pluies souvent diluviennes.
Cette perturbation du climat, ainsi que l’emprise agricole ou encore la fragmentation des habitats, impactent fortement la biodiversité. Entre 1970 et 2005, les populations de mammifères en Afrique ont diminué de 59 % (1) .
Et d’après l’IPBES*, d’ici 2100, une perte importante des espèces végétales et de plus 50 % des espèces d’oiseaux et de mammifères pourrait y être observée (2). C’est pourquoi, depuis la fin des années 70, on a pu observer une augmentation de 500 % des territoires définis comme zones protégées (Protected Areas/PA) dans le cadre de la préservation de la nature (3).
*IPBES : Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques
Des comportements modifiés par ces risques climatiques
Le comportement des animaux sauvages ou domestiques ainsi que des habitants a lui aussi été modifié : les populations humaines et d’animaux domestiques ont ainsi doublé aux abords des zones protégées. Alors où aller lorsque l’eau et les zones de pâturage viennent à manquer ?
Légende image :
Agriculture de subsistance au Zimbabwe : le vacher dirige son troupeau vers la rivière du Limpopo au nord du parc national Kruger à la frontière avec l’Afrique du Sud pour qu’elles puissent s’abreuver. @Alexandre Caron
Changement climatique et érosion de la biodiversité : causes de l’émergence et de la propagation des maladies infectieuses
Les risques pour la faune, le bétail et les populations humaines en termes de maladies infectieuses sont méconnus et peu anticipés dans la littérature scientifique, notamment dans ce contexte d'extinction d’espèces, de changement climatique et de limitation des ressources. Il est donc essentiel d’en examiner les conséquences sur la dynamique des maladies infectieuses.
La transmission multi-hôtes est un processus clef dans l’émergence, la transmission et l’endémisation, c’est-à-dire qui devient propre à un territoire délimité, de nombreuses maladies infectieuses humaines ou animales (domestique, sauvage).
Les épisodes successifs de sécheresse intenses prédits en Afrique australe diminueront certainement les productions primaires et rendront les ressources disponibles dans le temps et dans l’espace très incertaines (telles que l’eau ou l’alimentation des animaux d’élevage et sauvages). On peut donc s’attendre à ce que le chevauchement des zones agricoles et des espaces naturels, associé à l’effondrement de la biodiversité, modifient les schémas de contacts entre les espèces.
Ces nouvelles interactions faciliteraient-elles la transmission des pathogènes entre les différentes espèces ?
Un projet de recherche innovant qui s’inscrit dans le contexte actuel
Comment la perte de biodiversité, l’augmentation des températures et la perturbation des précipitations, c’est-à-dire l’alternance de sécheresses et pluies diluviennes, peuvent modifier le réseau de contacts entres les animaux sauvages, domestiques et/ou populations humaines, et ainsi augmenter les risques de maladies infectieuses de la faune, du bétail et des populations humaines ?
L’originalité du projet « HUM-ANI » réside dans l’importance égale qui est accordée à ses 3 axes d’étude :
- Ecologie : décrire le déplacement animal et la diversité des espèces selon les différentes conditions climatiques, en déployant plus de 70 colliers GPS et 30 pièges photos pour observer les différentes espèces sauvages et domestiques.
- Epidémiologie : identifier la présence de pathogènes infectieux au sein des espèces étudiées et observer les dynamiques de circulation, à travers l’analyse de prélèvements non invasifs de salive et d’excréments laissés dans l’environnement.
- Sociologie : mieux comprendre, grâce à des questionnaires et à des séances participatives, comment en période de crises climatique et économique, les populations humaines utilisent les ressources des zones protégées (pâturage, zones d’abreuvements, viande de brousse).
Cette approche transdisciplinaire se retrouve dans tous les aspects du projet : de la définition du sujet de recherche et de la méthodologie, à la composition de l’équipe projet, avec des scientifiques originaires du Zimbabwe, d’Afrique du Sud, de France, et du Royaume-Uni, en passant par un partenariat fort avec de nombreuses institutions nationales et internationales, comme les Universités du Zimbabwe et d’Afrique du Sud, l’Université d’Oxford, l’Imperial College de Londres, les services vétérinaires et parcs nationaux du Zimbabwe, ou encore le CIRAD, le CNRS, et l’IRD.
« HUM-ANI » : un projet de science citoyenne
Le projet « HUM-ANI » mettra en place le premier laboratoire mobile eco-health, une sorte de « think tank » Hommes/Nature, qui sera spécialement aménagé pour faire de la « recherche traditionnelle » sur le terrain, mais également de la science citoyenne et de la sensibilisation scientifique auprès des populations.
En effet, notamment équipé d’un grand écran pour projeter les résultats du projet et programmer des manifestations culturelles, il permettra de mener de front la recherche sur le lien entre biodiversité, santé et changement climatique, et de favoriser la communication entre scientifiques, gestionnaires et acteurs locaux.
Le travail sur le terrain fournira des données scientifiques novatrices afin d’établir des modèles épidémiologiques et de comprendre la circulation des agents pathogènes au sein du système multi-hôtes, dans différentes conditions.
Dans le contexte actuel de pandémie de Covid-19, cette question des liens entre changement climatique, érosion de la biodiversité et pandémie est plus que jamais au cœur des préoccupations environnementales et sanitaires.
In fine, ces recherches aideront les décisionnaires à identifier les meilleures stratégies de gestion à appliquer pour rendre les socio-écosystèmes aux interfaces Hommes/Nature durables.
« HUM-ANI » lance une véritable innovation qui aura un fort impact et une grande portée, car les conséquences sanitaires du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité constituent des enjeux majeurs au large écho »
Comité scientifique de la Fondation BNP Paribas
Pour aller plus loin :
- L’éco-épidémiologie : une science émergente capable de lutter plus efficacement contre les épidémies – article et podcast à propos des travaux d’Eve Miguel
- Mieux comprendre la diffusion des virus entre les espèces – article d’Eve Miguel pour The Conversation France
- On sait trop peu de choses sur l’épidémiologie de la faune sauvage – interview d’Eve Miguel, par Yseult Berger pour le Blob
- Face aux pandémies, les sciences de l’écologie sont plus que jamais nécessaires – article co-rédigé par Eve Miguel (Collectif de scientifiques du Centre de recherches en écologie et évolution de la santé)
Sources :
1. Craigie, I.D., et al., Large mammal population declines in Africa's protected areas. Biological Conservation, 2010).
2. The IPBES regional assessment report on biodiversity and ecosystem services for Africa, E.D. Archer, L., Mulongoy, K. J., Maoela, M. A., and Walters, M. (eds.). Secretariat of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, Bonn, Germany., Editor. 2018. p. 492
3. George Wittemyer, et al., Accelerated Human Population Growth at Protected Area Edges. Science, 2008.
Crédits photos : © Eve Miguel, © Alexandre Caron, @Dewald, © P-Y Joseph / Tulipes & Cie / HUM-ANI / Fondation BNP Paribas
Header : Parc national de Hwange, camp Sinamatella, 2011 @Eve Miguel