Une baisse attendue
La prévision de la Banque de France (-6%) avait préparé les esprits à un mauvais chiffre. C’est effectivement le cas. Cette baisse trimestrielle est la plus importante jamais enregistrée depuis 1949, battant le record de -5,3% du deuxième trimestre 1968. Il faut toutefois garder à l’esprit la plus grande fragilité qu’à l’accoutumée de cette première estimation compte tenu des difficultés de collecte des données dans le contexte actuel. Cela a entraîné des changements méthodologiques qui ont pu contribuer à accentuer la baisse. Ce chiffre de -5,8% sera ultérieurement révisé, peut-être de manière significative, possiblement à la hausse comme à la baisse.
Au niveau du détail des composantes du PIB, seules les variations de stocks apportent une contribution positive. Consommation des ménages, consommation publique, investissement, exportations et importations sont toutes en chute. Concernant la consommation des ménages, l’ampleur du choc est aussi clairement visible dans la chute mensuelle de 18%, au mois mars, de leurs dépenses en biens. Et la production manufacturière, les exportations et les importations de biens ont accusé une baisse d’ampleur similaire au mois de mars.
Sur le front du marché du travail, quatre statistiques donnent la mesure de l’ampleur du choc*. Tout d’abord, le nombre de demandeurs d’emplois en catégorie A qui a bondi de 7% en mars, du jamais-vu. 70% de la baisse engrangée depuis début 2016 se trouve ainsi effacée en un seul mois. Ensuite, les déclarations d’embauche de plus d’un mois ont plongé de 23% en mars, également du jamais-vu. Troisièmement, l’emploi salarié privé s’est effondré de 2,3% au premier trimestre d’après la première estimation de l’INSEE. Enfin, les demandes d’autorisation préalable de chômage partiel poursuivent leur envolée et concernent, selon le décompte du 12 mai, 12,4 millions de salariés, soit près d’une personne sur deux.
Le deuxième trimestre reste sous tension
Au deuxième trimestre, il faut s’attendre à ce que la baisse du PIB soit plus importante encore que celle du premier. Celle-ci porte, en effet, la trace d’une quinzaine de jours de confinement quand le deuxième trimestre, en plus de l’acquis négatif, portera la trace d’un mois entier de confinement – avril – plus une dizaine de jours en mai. Lors de sa dernière mise à jour du 7 mai, l’INSEE estime à 33% la perte d’activité économique instantanée due au confinement. La micro-amélioration de son estimation par rapport aux trois précédentes (-35% le 23 avril, -36% le 9 avril, -35% le 26 mars) peut être vue comme une bonne nouvelle, certes toute relative. Elle est confortée par l’estimation du 12 mai de la Banque de France de la perte de PIB sur une semaine-type de confinement, également légèrement moins négative : -27% en avril contre -32% en mars. Dit autrement, l’économie française fonctionne à environ 70% de ses capacités. Le choc négatif sur le PIB annuel, déduit de ces estimations, est de l’ordre de -3 points par mois de confinement.
Cette perte d’activité instantanée d’environ -30% masque des disparités sectorielles importantes en termes d’ampleur de la baisse mais aussi l’effet (légèrement) amortisseur des quelques secteurs où l’activité s’est maintenue voire s’est accrue ou, plus anecdotique, les secteurs qui ont reconverti leur appareil de production ou ceux encore qui ont redémarré, au ralenti, passé le choc initial. Plus globalement, la structure sectorielle de l’économie française lui est à la fois favorable et défavorable dans la crise actuelle : le poids des services non marchands en atténue l’impact mais celui des services marchands, habituellement amortisseur, l’augmente, au contraire.
Du côté des enquêtes sur le climat des affaires, l’heure reste à la détérioration, et considérablement : l’indice composite de l’INSEE s’est écroulé de 32 points en avril (à 62) après en avoir déjà perdu 11 en mars. Un nouveau point bas historique est ainsi atteint. Le dévissage est généralisé à l’ensemble des secteurs d’activité, les services étant les plus durement impactés et l’industrie le moins. Dans ce secteur, les difficultés n’en sont pas moins grandes, comme l’illustre la chute du taux d’utilisation des capacités de production à moins de 70%, un (autre) nouveau point bas historique. La confiance des ménages est également frappée de plein fouet, avec une chute inédite de 8 points en avril.
Qu’en ira-t-il de la croissance sur l’ensemble de l’année ?
A l’évidence, 2020 ne sera pas une année de croissance peu élevée mais résistante comme cela était anticipé fin 2019. Ce scénario a laissé la place à celui d’un choc récessif massif. Cette récession historique en France, et partout ailleurs dans le monde, met fin au cycle d’expansion engagé depuis début 2013 dans la zone euro et mi-2009 aux Etats-Unis. A ce stade, les perspectives de reprise semblent encore bien lointaines ou évanescentes mais son profil importe : il déterminera l’ampleur de la baisse du PIB sur l’ensemble de l’année.
Le plus probable est un profil en U, c’est-à-dire un redémarrage progressif de l’économie avec un retour au niveau d’avant-crise attendu à l’horizon de la fin 2021. Le mois d’avril devrait marquer le creux de l’activité et un début de mieux devrait commencer à s’esquisser progressivement en mai. Il est déjà visible dans la légère amélioration susmentionnée des estimations de la perte instantanée d’activité de l’INSEE et de la Banque de France. Le redémarrage devrait être aidé par l’arsenal de mesures de soutien qui a été déployé et auquel va s’adjoindre un plan de relance en cours d’élaboration. D’après nos prévisions, le PIB français chuterait tout de même de 7% en 2020 en moyenne annuelle, avant de rebondir d’autant en 2021. Des évolutions d’ampleur inédite, comparables à celles attendues par la Commission européenne ou le FMI, et, il va sans dire, des prévisions hautement incertaines.
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*Au moment d’écrire ces lignes, nous ne disposons pas encore de l’estimation du taux de chômage au sens du BIT pour le premier trimestre 2020