Périmètre de l’étude
L’étude réalisée par PACE porte sur les acquisitions (c’est-à-dire des investissements majoritaires) de fintechs et services bancaires lancés à partir des années 2000, par des banques traditionnelles et notamment les banques de détail, sur la période 2014-2024, en Europe.
À partir de 2010, vous observez l’apparition d’une nouvelle vague de fintechs, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Rémy Poulet : À partir de 2010 nous sommes à un moment charnière post crises financières de 2008 et 2010, propice à l’éclosion des startups de la finance, les fintechs. Le contexte est porteur pour plusieurs raisons :
- La digitalisation de l’économie s’accélère portée par des avancées technologiques majeures qui se diffusent : essor de l’internet haut débit et de l’internet mobile, développement des services dans le cloud et des API.
- Les besoins et usages des clients évoluent, de nouveaux standards d’expérience apparaissent et promeuvent l’instantanéité et le « selfcare » (le fait de rendre le client autonome pour gérer ses opérations bancaires par exemple).
Pourquoi les banques traditionnelles vont-elles se lancer dans l’acquisition de fintechs ?
Rémy Poulet : Je vois trois raisons principales qui ont poussé les banques traditionnelles européennes à procéder à ces acquisitions. Premièrement, dans une logique défensive afin de protéger leur cœur de métier et prévenir le risque de désintermédiation de la relation client. Deuxièmement pour accélérer leur transformation digitale, voire pour certains de rattraper l’écart en termes d’innovation ou de palier un manque de capacité à exécuter en interne. Enfin, acquérir une fintech peut être l’occasion de renforcer sa proposition de valeur et/ou accéder plus rapidement à un marché ou à un segment de clientèle. Mais comme je le disais précédemment, avec 70 acquisitions de fintechs par 39 banques, le volume d’acquisitions entre 2014 et 2024 est resté limité. Notons que la France, l’Italie et le Royaume-Uni sont dans le trio de tête des pays « acquéreurs ».
Qu’est ce qui explique ces volumes ?
Rémy Poulet : Plusieurs pistes pour expliquer ces chiffres. Je dirais que les banques traditionnelles ont un sentiment d’urgence limité. En effet, les fintechs participent à l’érosion de leurs parts de marché des banques traditionnelles mais ne menacent jusqu’à présent pas de les remplacer. Et puis les barrières à l’entrée restent élevées : la banque de détail est un secteur ultra régulé et hyper concurrentiel avec une forte inertie des clients. Rappelons que chaque année, en France, moins de 5% des clients changent d’établissement bancaire. Et les banques sont par nature plutôt averses au risque. Le montant des valorisations de fintechs reste élevé et en décalage avec les standards du secteur bancaire. Enfin, la complexité des infrastructures IT est aussi un frein à l’intégration d’une fintech.
Pouvez-vous nous citer quelques acquisitions emblématiques de la décennie ?
Rémy Poulet : Parmi les acquisitions marquantes de la décennie, je citerais quatre « success stories », dont trois acquisitions de BNP Paribas. Pour commencer, sûrement l’une des plus emblématiques de la décennie : NiCKEL. En juillet 2017, BNP Paribas finalise le rachat de Compte-Nickel. Simple et accessible à tous, le compte-Nickel repose sur le réseau des buralistes français. Son positionnement permet à BNP Paribas de compléter son offre. Dès 2018, Compte NiCKEL atteint le cap symbolique du million de comptes et devient NiCKEL. La néo banque au modèle innovant s’exporte en Europe : en Espagne, en Belgique, au Portugal et en Allemagne. En 2024, NiCKEL, toujours fidèle à sa proposition de valeur initiale : être accessible au plus grand nombre sans conditions de revenus, fête ses dix ans, avec une offre diversifiée et de nouveaux services.
Après une première prise de participation majoritaire en 2017, BNP Paribas Asset Management (pôle IPS) a acquis 100 % de la fintech Gambit Financial Solutions en 2021. Gambit développe pour BNP Paribas, et d’autres institutions financières externes, des solutions technologiques innovantes basées sur la data et l’IA, qui permettent d’optimiser les parcours de conseil et d’allocation en épargne et en investissement.
"Les fintechs ont été un catalyseur de l’innovation et de la transformation de l’industrie bancaire ces dernières années. Les banques ont procédé à des acquisitions très ciblées dans le domaine, profitant également de cette émulation pour faire évoluer leur capacité à se digitaliser de façon organique."
Plus récemment, citons BNP Paribas et Kantox, un bel exemple de synergie et d’extension de la proposition de valeur d’une banque en partenariat avec une fintech. Suite à un premier partenariat stratégique lancé en septembre 2019, l’activité Global Markets de CIB et CPBS rachètent Kantox la fintech leader dans l'automatisation de la gestion du risque de change, en octobre 2022
Au-delà de BNP Paribas, on peut citer la startup Ebury qui est entrée dans le giron de Banco Santander en 2019. Cette plateforme de paiements internationaux et de services de change britannique pour les TPE/PME vise à ouvrir une partie de son capital à la bourse de Londres en 2025. Et la fintech Payplug spécialisée dans les solutions de paiement e-commerce pour TPE/PME, achetée par le groupe BPCE en 2017. Payplug est désormais la marque unique du groupe BPCE pour les solutions omnicanales de paiement. Toutefois, il y a eu aussi pas mal d’échecs, puisque 40 % des fintechs rachetées entre 2014 et 2020 ont été soit fermées soit revendues !
Comment expliquez-vous ces échecs ?
Rémy Poulet : Notre étude montre 3 raisons principales, parfois concomitantes :
- Un changement à la Direction de la banque et donc une perte du sponsoring
- Un changement stratégique au niveau du groupe, dans le cas d’un départ d’un marché par exemple
- Le cas d’une acquisition d’une fintech avec un modèle non éprouvé et une intégration défaillante
L’intégration d’une fintech par un grand groupe présente plusieurs défis, lesquels selon vous ?
Rémy Poulet : Les défis à relever pour une acquisition réussie sont nombreux mais identifiés, il convient de les anticiper pour mener à bien un projet de ce type. Sur le volet culturel et humain, la fintech est souvent une petite structure agile avec des circuits de décisions courts qui va donc se retrouver confrontée à l’inertie des grandes organisations. Une partie de la valeur d’une startup repose sur la qualité de ses dirigeants et de leurs équipes, c’est donc un élément à préserver pour une intégration réussie. Sur le volet réglementaire et infrastructure IT, la mise à niveau réglementaire va potentiellement engendrer des coûts supplémentaires, qui peut dans un premier temps créer des « dysinergies » et donc peser sur le fonctionnement de la start-up. La coexistence entre plusieurs écosystèmes IT impacte également la phase post acquisition. Enfin, disons que l’acquisition est souvent un pari sur l’avenir ! l’alignement stratégique est donc essentiel même s’il requiert des investissements sur le long terme.
"Un mariage réussi entre une banque et une fintech c’est lorsqu’on part d’un modèle robuste qui apporte une innovation essentielle à nos clients et que la banque apporte les ingrédients complémentaires pour faire évoluer ce modèle à l’échelle."
creer des synergies ciblées, être alignés sur la trajectoire de croissance post acquisition