Le microcrédit : encourager l’entrepreneuriat pour lutter contre la pauvreté
Comme souvent, la modernité plonge ses racines dans l’histoire. Et la microfinance ne fait pas exception. Sous des formes différentes, des mécanismes de prêts aux démunis existent depuis des millénaires en Asie. En Europe, les monts-de-piété fondés par les moines franciscains du XVe siècle avaient pour vocation de réinsérer les plus pauvres dans la vie de la communauté. Plus proche de nous, la première société coopérative d’épargne et de crédit est créée en 1879 en Rhénanie. Première institution financière mutualiste, elle s’adresse principalement aux populations ouvrières en leur offrant un accès au crédit. Ce principe mutualiste continuera à prospérer en Europe au XXe siècle.
Mais ces modèles d’inclusion financière s’avèrent insuffisants pour endiguer la pauvreté de ce qu’on appelle encore en 1970 le Tiers-monde. La microfinance moderne trouve donc son acte fondateur dans l’un des pays les plus pauvres du monde : le Bangladesh. Muhammad Yunus, un professeur d’économie, y fait un constat accablant. Le marché libre n’empêche pas la famine de ravager son pays. La lutte contre la pauvreté, qui passe par les aides et les subventions, ne semble pas porter ses fruits, et le système bancaire est incapable de prendre en charge les populations pauvres.
Au village de Jobra, il a l’idée de prêter lui-même à un groupe de femmes une somme fondatrice : 27 $ pour financer le travail de 42 ouvrières. Et ça fonctionne : ces fabricantes de tabourets en bambous tirent avantage de ce crédit pour améliorer leur rendement et le prêt est totalement remboursé. Les principes de la microfinance moderne sont posés : combattre la pauvreté par le microcrédit et cibler principalement les femmes des pays émergents.
L’essor mondial : pour un crédit de proximité
L’expérience de Jobra aurait pu en rester là. La détermination de Muhammad Yunus a donné une tout autre ampleur à cette première expérience de microcrédit. Devant le manque de réactivité du système bancaire, il décide de créer son propre programme : le Grameen. Celui-ci renverse les principes bancaires classiques. Il s’adresse à une population pauvre en leur proposant des prêts de petits montants sans exiger de garanties en contrepartie. Il invente le principe de responsabilité conjointe qui consiste à rendre solidaires les membres des groupements bénéficiaires. Il cible en priorité les femmes du pays, traditionnellement exclues du système financier. Le pari est audacieux et c’est un succès immédiat.
En 1983, le programme obtient le statut d’établissement bancaire. La Grameen Bank (Banque du Village) est née et va connaître une croissance fulgurante. Les « agences » de la banque se multiplient et sont aujourd’hui présentes dans plus de 80 000 villages. On estime que la banque a donné accès au crédit à plus de 7 millions de bénéficiaires, dont 97 % de femmes, au Bangladesh.
Les années 1980-1990 vont voir le modèle s’exporter à travers le monde par l’intermédiaire d’ONG ou d’institutions financières. Dans les pays en développement, une véritable industrie de la microfinance émerge. Création de dizaines d’IMFs en Inde, la BancoSol ou le réseau ACCION en Amérique du Sud, l’ADIE en Europe et dans le bassin méditérranéen, et bien d’autres enrichissent peu à peu le maillage de la microfinance mondiale.
Le début du XXIe siècle marque la consécration internationale du microcrédit. Alors qu’en 1997, le premier sommet du microcrédit a lieu à Washington, le G8 pose en 2004 les principes de la microfinance, délimitant les contours d’un nouveau secteur économique. L’année 2005 est sacrée « année mondiale du microcrédit » par l’ONU et Muhammad Yunus devient Prix Nobel la paix en 2006.
“ Le microcrédit, c’est aider chaque personne à atteindre son meilleur potentiel ”
Professeur d'économie et initiateur de la microfinance
BNP Paribas et la microfinance : 28 ans d’actions pour une finance inclusive
BNP Paribas a très tôt réalisé la révolution que représentait la microfinance dans l’économie mondiale. Depuis 1989, le Groupe BNP Paribas s’engage à promouvoir l’accès au crédit dans les pays émergents, finance des IMF et tisse des liens avec des acteurs majeurs du secteur. Parmi ces acteurs majeurs se trouvent notamment l’ADIE - Association pour le Droit à l’Initiative Économique ou la SIDI – Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement, etc.).
En quelques dates :
- 1989 : 1er prêt de Microfinance à une IMF
- 2006 : Création du département microfinance
- 2012 : L’intégration du département microfinance à la Fonction RSE Groupe
Les chiffres-clés :
- 248 millions d’euros de crédits ou investissements en 2016
- + 18 % de soutiens en 2016 par rapport à 2015
- 309 000 personnes exclues du système bancaire traditionnel ont pu réaliser leurs projets et améliorer leur niveau de vie indirectement à travers les financements du groupe durant l’année 2016.
De la crise à la redéfinition du modèle
Des critiques vis-à-vis des effets pervers du système commencent à apparaître dans les années 2000. Les premières failles se font jour dès 2007 avec le scandale Compartamos : fondée au Mexique au début des années 1990 afin d’octroyer des crédits aux femmes pauvres de la banlieue de Mexico, cette ancienne ONG, valorisée à près de 2 milliards de dollars, fait l’objet d’une avalanche de critiques : pratique de taux élevés et de prêts à la consommation, pression sur les créditeurs, manque de transparence, recherche de rentabilité au mépris du volet social.
En 2010, une vague de protestations s’élève dans l’Andhra Pradesh, une des premières régions à avoir adopté le système de microfinance en Inde. Suite aux suicides de plusieurs emprunteurs et aux pressions accrues des agents de crédits, les clients s’insurgent contre le système de la microfinance qui connaît alors une vague de critiques dans le monde entier. Le SKS (Swayam Krishi Sangam), principale institution de microcrédit en Inde passe alors de 1 % de taux de défaillance à plus de 80 %.
Les contours de la microfinance se sont donc redéfinis ces dernières années. La gestion des IMF est de mieux en mieux régulée par le développement et la généralisation de mesures de performance et d’impact social (comme le SPI4-Cerise qui vise à rationaliser l’évaluation des performances sociales). L’implication d’acteurs financiers traditionnels, en soutien des IMF, permet par ailleurs d’assurer une pérennisation du modèle.
Vers la finance inclusive
Les pays matures adoptent progressivement les outils de la microfinance pour leurs propres économies. C’est le sens du partenariat entre BNL (filiale de BNP PARIBAS en Italie) et PerMicro, leader de la microfinance en Italie ainsi que des actions de BNP Paribas en faveur des micro-entrepreneurs et des micro start-ups (Créajeunes, programme développé par l’ADIE pour soutenir la création d’entreprise chez les jeunes de 18 à 32 ans).
Enfin, l’élargissement du microcrédit à d’autres produits et services financiers comme l’épargne ou l’assurance tend à consolider la viabilité et la vocation sociale des services de microfinance. C’est cet équilibre nouveau, à l’origine d’un cercle économique vertueux, que recouvre le concept de finance inclusive.
La finance inclusive s’appuie aussi sur les nouvelles technologies pour donner aux populations les plus pauvres accès à des services financiers. Au Kenya, le transfert d’argent par SMS aurait ainsi permis à près de 200 000 foyers de sortir de l’extrême pauvreté. La digitalisation des services financiers représenteraient pour les pays émergents un potentiel de PIB supplémentaire de 3 700 milliards de dollars d’ici 2025.
Née dans un village du Bangladesh, la microfinance a d’ores et déjà marqué l’histoire économique des 40 dernières années. En 2014, selon le baromètre de la microfinance, les 1 045 institutions de microfinance ayant communiqué leurs données comptaient un total de 111,7 millions de clients. Le nombre d’emprunteurs a été multiplié par 3 entre 2013 et 2014. Le total des microcrédits accordés s’élevait quant à lui à 87,1 milliards de dollars soit une augmentation de +12,6% par rapport à l’année précédente. Cette finance éthique et responsable, au service de l’entreprise, sert déjà de base pour relever les immenses défis de demain.
Répondre aux besoins des 500 millions de personnes en attente de financement et lutter contre l’exclusion économique des 700 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté . Un vaste programme pour un petit crédit.