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Brésil : la faiblesse de l’investissement, un frein à la croissance

Salim Hammad
Salim Hammad
Economiste
Publié le 07.09.2020

L’investissement est un déterminant important de la croissance économique d’un pays au même titre que la productivité et les facteurs démographiques. Il contribue à accroître les capacités de production d'une économie et constitue un des moyens d'améliorer la productivité. Historiquement, le taux d'investissement brésilien est demeuré faible. Il a surtout considérablement baissé au cours de la dernière décennie. Si un certain nombre d'éléments favorables sont apparus ces dernières années pour stimuler l'investissement, de nombreux obstacles demeurent pour autant. Un retour du taux d'investissement à son niveau d’avant 2014 ne devrait pas se matérialiser avant la deuxième moitié de la décennie, au mieux.

L'investissement au Brésil est plus faible que dans les autres BRIICS

Le taux d'investissement au Brésil est faible en comparaison des autres grands marchés émergents. Selon les données de l'OCDE, le ratio de la formation brute de capital fixe rapportée au PIB s'est élevé en moyenne à 18,8 % sur la période 2009-2019. Ce taux détonne par rapport aux autres BRIICS, à commencer par la Chine en tête avec 46 %, suivie de l'Inde (35,4 %), l'Indonésie (33 %), la Russie (22,9 %) et l'Afrique du Sud (19,8 %), au cours de la même période.

Depuis 2013, le taux d'investissement du Brésil s'est nettement affaibli. Les statistiques nationales montrent qu'après avoir atteint un pic à environ 21 % du PIB en 2013, il a atteint un creux à 14,7 % en 2017; le taux d'investissement ne suffisait alors pas à compenser l’amortissement du stock existant de capital physique, notamment dans les infrastructures. Depuis, l'investissement a eu du mal à se redresser (15,4 % du PIB à la fin de 2019), et les effets de la pandémie de Covid-19 vont encore un peu plus retarder sa reprise ainsi que celle de l’activité économique.

Pourquoi l’investissement est-il si faible ?

L'insuffisance de l'épargne au Brésil est un obstacle structurel majeur à l'augmentation des investissements. L'épargne domestique est en effet deux à trois fois inférieure à celle de certains des plus grands marchés émergents d'Asie. Le faible taux d'investissement s’explique également par des obstacles présents de longue date liés à l'environnement des affaires. Les entreprises ont ainsi un accès limité aux capitaux de long terme et font face à des coûts d'emprunt élevés (les taux d'intérêt réels pour les entreprises se situent en moyenne autour de 20 % sur la période 2012-2019). En conséquence, elles ont tendance (en particulier les petites et moyennes entreprises) à s'appuyer sur des fonds générés en interne (e.g. bénéfices non distribués) pour se développer, ce qui  limite leur propension à investir. Par ailleurs, la faible maturité des crédits conduit les entreprises à consacrer une part importante de leurs ressources au service de la dette plutôt qu'au financement de projets productifs. Dans le même temps, la complexité du système fiscal, les coûts élevés de mise en conformité, les retards importants dans la délivrance des brevets et les difficultés à ouvrir et à fermer une entreprise entravent l’entreprenariat et l'innovation, et pèsent sur l'investissement.

Les entraves à la concurrence – qu’elles prennent la forme de subventions ou de barrières commerciales – entraînent, dans le même temps, une mauvaise allocation des ressources et participent à la survie d’entreprises inefficientes. Des facteurs conjoncturels expliquent aussi la trajectoire des investissements au cours des dernières années. Le scandale de corruption Lava Jato en 2014 et une récession longue de deux ans en 2015-16 ont en effet largement participé à la chute du taux d'investissement. Ces bouleversements majeurs ont gravement nui aux bilans et à la confiance des entreprises, et ont conduit à une forte dégradation des finances publiques.

Suite à la récession, une série d'obstacles ont contraint l’investissement public et privé. Du côté des entreprises, celles-ci se sont désendettées beaucoup moins rapidement que les ménages, tandis que les demandes de redressement judiciaires n’ont cessé d’augmenter. L’implication de nombreuses entreprises du secteur de la construction civile au scandale Lava Jato a affaibli la reprise dans le secteur. Ce dernier – qui représente environ la moitié des dépenses d’investissement dans le pays – a également dû faire face à des niveaux élevés de stocks sur le marché immobilier, en particulier dans l’immobilier commercial. Cette situation et le faible niveau d'utilisation des capacités productives au sein du secteur manufacturier ont découragé l’investissement. Les agitations politiques autour de la possible destitution du président Temer (2016-2018), le cycle électoral qui s'ensuivit (2018) et les incertitudes quant au programme de réformes structurelles ont également accru l'aversion pour le risque et amené les entreprises à revoir à la baisse leurs anticipations de croissance de la demande (un des motifs déterminants de l’investissement des entreprises.)

Le processus d'ajustement budgétaire engagé sous l'administration Temer a eu, en parallèle, des répercussions délétères sur l’investissement public et privé. En l'absence de réformes destinées à contrôler la trajectoire des dépenses obligatoires (environ 96 % du budget fédéral), la charge de l'ajustement budgétaire s’est en effet reportée sur les dépenses d'investissement ainsi que sur les subventions publiques. A ce titre, les activités de la banque de développement d’État, la BNDES - partenaire historique des entreprises en matière de dépenses d'investissement et source quasi-exclusive de financement de long terme - ont été redéfinies, tandis que les banques publiques ont nettement revu à la baisse leurs offres de crédit subventionné (appelé « crédit administré à taux bonifié »). Le secteur public, qui était la principale source de financement de l'investissement privé, s’est retiré progressivement pour faire place à des solutions de financement davantage axées sur des mécanismes de marché. Cet ajustement a toutefois affecté l'accès des entreprises à des fonds bon marché, pesant ainsi sur leurs décisions d'investissement (les taux d'intérêt appliqués aux crédits administrés accordés par les banques publiques représentaient en moyenne un quart de ceux appliqués aux crédits non-administrés).

Qu’en sera-t-il des perspectives d'investissement avec la Covid-19 ?

À court terme – et ce en raison des effets de la pandémie de Covid-19 sur l'économie - la formation brute de capital fixe, en tant que composante la plus volatile et pro-cyclique du PIB, sera sans aucun doute durement touchée. Suite à la forte augmentation du déficit budgétaire et de la dette en réponse à l'épidémie, le soutien des investissements publics notamment devrait être très limité. D’après les déclarations de l’équipe économique, le gouvernement entend en effet renouer dès que possible avec sa politique d'assainissement des finances publiques.

Le très important programme de concessions et de privatisations du gouvernement devrait toutefois permettre d’atténuer partiellement le coup porté à l'investissement, à condition qu'il puisse reprendre assez rapidement une fois l'épidémie maîtrisée et les incertitudes dissipées. L'investissement privé devrait malgré tout bénéficier de manière durable des transformations récentes au sein de l'économie : les taux d'intérêt réels sont à un niveau historiquement bas, l'inflation est maîtrisée, le cadre réglementaire des concessions a été remanié, de nombreuses distorsions opérant sur le marché du crédit ont été levées et les marchés locaux boursier et de la dette privée sont en plein développement. Pendant longtemps, le coût élevé du financement local et l’absence d’un marché secondaire de la dette privée à forte liquidité ont amené les grandes entreprises à se tourner vers l'étranger pour emprunter. Ces dernières années, cependant, elles ont racheté des dollars, remboursé leurs dettes et ont levé des fonds sur le marché local des capitaux.

Si certains éléments fondateurs pourraient stimuler l'investissement, le chemin de la reprise sera toutefois long. Même dans le cadre de scénarios de croissance optimistes, une reprise de l’investissement à son niveau prévalant avant 2014 ne devrait pas se concrétiser avant la deuxième moitié de la décennie, au mieux. Toutefois, lever les obstacles à l'investissement observés de longue date, notamment ceux qui affectent l'environnement des affaires, contribuerait grandement à atténuer les dommages causés par l'épidémie de Covid-19. Cela permettrait, en même temps, d’améliorer les perspectives de croissance de moyen terme du pays déjà mises à mal par la stagnation de la productivité et le vieillissement de la population.

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